« J’ai déjà fait trois chapitres de mon roman. Cela est bien pâle et bien fin, à côté de L’Assommoir, ce qui fait que je m’étonne moi-même par moments et que je reste inquiet. Mais j’ai voulu cette note nouvelle. Elle sera moins puissante et moins personnelle que l’autre ; seulement, elle jettera de la variété dans la série. »
Lettre à Léon Hennique, 29 juin 1877.

« J’ai commencé un roman qui aura pour titre, je crois, Une page d’amour. C’est ce que j’ai trouvé de mieux jusqu’ici. Le ton est bien différent de celui de L’Assommoir. Pour mon compte, je l’aime moins, car il est un peu gris. Je tâche de me rattraper sur les finesses. D’ailleurs j’ai voulu une opposition, il me faut bien accepter cette nuance cuisse de nymphe. »
Lettre à Henry Céard, 16 juillet 1877.

« C’est une note nouvelle, très douce, attendrie et simple, bien différente de celle de L’Assommoir. Cela fera opposition, et l’on va me classer parmi les romanciers honnêtes. Par parti pris, je travaille pour les pensionnaires, je me fais plat et gris. Ensuite, avec Nana, je rentrerai dans le féroce. »
Lettre à Edmond de Goncourt, 23 juillet 1877.

« Je viens de terminer la première partie de mon roman qui en aura cinq. C’est un peu popote, un peu jeanjean ; mais cela se boira agréablement, je crois. Je veux étonner les lecteurs de L’Assommoir par un livre bonhomme. Je suis enchanté quand j’ai écrit une bonne petite page naïve, qui a l’air d’avoir seize ans. Pourtant, je n’affirme pas que, ça et là, un pet-en-l’air ne m’enlève pas dans les choses peu honnêtes. Mais c’est là l’exception. Je convoque les lecteurs à une fête de famille, où l’on rencontrera des bons cœurs. Enfin, la première partie se termine par un Paris à vol d’oiseau, d’abord noyé de brouillard, puis apparaissant peu à peu sous un blond soleil de printemps, qui est, je crois, une de mes meilleures pages, jusqu’ici. »
Lettre à Joris-Karl Huysmans, 3 août 1877.

« Ce qui me soutient, c’est la pensée de la stupéfaction du public, en face de cette douceur. J’adore dérouter mon monde. »
Lettre à Théodore Duret, 2 septembre 1877.

«  Je suis dans une grande perplexité sur le mérite absolu de ce que je fais. Je crains de m’être fourvoyé dans une note douce qui ne permet aucun effet. En tout cas, ce sera de ma part quelque chose d’absolument neuf. Le succès sera médiocre, à coup sûr. Mais je me console en pensant déjà à ma Nana. Je veux, dans ma série, toutes les notes ; c’est pourquoi, même si je ne me contente pas, je ne regretterai jamais d’avoir fait Une page d’amour. – J’oubliais de vous dire que je me suis arrêté à ce dernier titre. On dirait qu’on avale un verre de sirop et c’est ce qui m’a décidé. »
Lettre à Léon Hennique, 2 septembre 1877.

« Veuillez dire à Charpentier que le volume ne dépassera guère dix feuilles, et qu’il fasse employer du papier un papier un peu épais pour que le volume ne soit pas trop mince, à côté des autres volumes de la série. »
Lettre à Viéville [chef de fabrication de l’éditeur Charpentier], 12 février 1878.

« Ce qu’on a surtout reproché à Une page d’amour, ce sont les cinq descriptions de Paris qui reviennent et terminent les cinq parties, symétriquement. On n’a vu là qu’un caprice d’artiste d’une répétition fatigante, qu’une difficulté vaincue pour montrer la dextérité de la main. J’ai pu me tromper, et je me suis trompé certainement, puisque personne n’a compris ; mais la vérité est que j’ai eu toutes sortes de bonnes intentions, lorsque je me suis entêté à ces cinq tableaux du même décor, vu à des heures et dans des saisons différentes. Voici l’histoire.

Aux jours misérables de ma jeunesse, j’ai habité des greniers de faubourg, d’où l’on découvrait Paris entier. Ce grand Paris, immobile et indifférent, qui était toujours là, dans le cadre de ma fenêtre, me semblait comme le confident tragique de mes joies et de mes tristesses. J’ai eu faim et j’ai pleuré devant lui ; et, devant lui, j’ai aimé, j’ai eu mes plus grands bonheurs. Eh bien ! dès ma vingtième année, j’avais rêvé d’écrire un roman dont Paris, avec l’océan de ses toitures, serait un personnage, quelque chose comme le chœur antique. Il me fallait un drame intime, trois ou quatre créatures dans une petite chambre, puis l’immense ville à l’horizon, toujours présente, regardant avec ses yeux de pierre rire et pleurer ces créatures. C’est cette vieille idée que j’ai tenté de réaliser dans Une page d’amour.

Je ne défends donc pas mes cinq descriptions : je tiens uniquement à faire remarquer que, dans ce qu’on nomme notre fureur de description, nous ne cédons presque jamais au seul besoin de décrire ; cela se complique toujours en nous d’intentions symphoniques et humaines. La création entière nous appartient, nous tâchons de la faire entrer en nos œuvres, nous rêvons l’arche immense.

Un mot encore, à propos de ces vues de Paris. Des critiques, éplucheurs de détails, après avoir gratté l’œuvre dans tous les sens, ont découvert que j’avais commis l’impardonnable anachronisme de mettre à l’horizon de la grande ville les toitures du nouvel Opéra et la coupole de Saint-Augustin, dès les premières années du second Empire, époque à laquelle ces monuments n’étaient point bâtis. J’avoue la faute, je livre ma tête. Lorsqu’en avril 1877, je montais sur les hauteurs de Passy pour prendre mes notes, à un moment où les échafaudages du futur palais du Trocadéro me gênaient déjà beaucoup, je fus très ennuyé de ne trouver, au nord, aucun repère qui pût m’aider à fixer mes descriptions. Seuls, le nouvel Opéra et Saint-Augustin émergeaient au-dessus de la mer confuse des cheminées. Je luttai d’abord pour l’amour des dates. Mais ces masses étaient trop tentantes, allumées sur le ciel, me facilitant la besogne en personnifiant de leurs découpures tout un coin de Paris, vide d’autres édifices ; et j’ai succombé, et mon œuvre ne vaut certainement rien, si les lecteurs ne peuvent se résoudre à accepter cette erreur volontaire de quelques années dans les âges des deux monuments. »
Lettre à D. Jouaust et J. Sigaux, [mi-novembre 1884]. (Sauf le dernier paragraphe, également dans Le Voltaire du 8 juin 1880)

« Vous me posez, à propos d’Une page d’amour, des questions auxquelles il ne m’est pas très facile de répondre. Je vous ai déjà dit mon manque de mémoire. j’oublie très bien mes œuvres, que je ne rouvre jamais. Une page d’amour, écrite entre L’Assommoir et Nana, a dû être, dans ma pensée, une opposition, une halte de tendresse et de douceur. J’avais, depuis longtemps, le désir d’étudier, dans une nature de lemme honnête, un coup de passion, un amour qui naît et qui passe, imprévu, sans laisser de trace.

Le titre veut dire cela : une page dans une oeuvre, une journée dans une vie. Le drame m’a été donné par l’invention de l’enfant, qui meurt de l’amour de la mère. Quant au milieu, à cette hauteur de Passy où j’ai placé la maison, il a été certainement choisi par la simple raison que je voulais voir tout Paris de la fenêtre, pour les cinq descriptions qui terminent les cinq parties. Encore une vieille idée de ma jeunesse, Paris témoin muet d’un drame, Paris, pareil au chœur antique, assistant aux joies et aux douleurs d’une action, à toutes les heures, par tous les temps. […]

 – Et voilà tout ce que je trouve sur cette œuvre déjà ancienne, que j’ai écrite, presque tout entière au bord de la Méditerranée, dans un petit village de la banlieue de Marseille. Il faisait terriblement chaud, et je me souviens que les cinq descriptions de Paris m’ont donné un mal du diable. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 8 juin 1892.

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