I. À la Chambre, il n’y a pas cent députés présents ; des lambeaux de phrases arrivent jusqu’au fond de la salle. L’on vote à l’unanimité un crédit de quatre cent mille francs pour les dépenses de la cérémonie et des fêtes du baptême du prince impérial. L’empereur a fait demander Eugène Rougon la veille, mais l’on ignore ce qu’il est résulté de l’entretien : une disgrâce le menace.
Sa démission est acceptée : il se retire.
II. Au Conseil d’État, Rougon vide ses tiroirs, brûle des papiers et conseille ses amis : « Faites les morts, tâchez que les choses restent en l’état, et attendez que nous soyons les maîtres. » Il rêve à une ferme, dans laquelle toutes les bêtes lui obéiraient, commandées au fouet : les bergers ne conduisent leurs troupeaux qu’à coups de pierre.
III. L’après-midi, Rougon va parfois passer un instant chez la princesse Balbi et Clorinde, la mère et la fille, deux italiennes moitié aventurières et moitié grandes dames, que l’on rencontre partout. Ce qui l’attire dans Clorinde, c’est cette pointe d’inconnu, cette énigme vivante qui finit par l’occuper autant qu’un problème délicat de haute politique. Jamais il n’avait eu l’idée d’étudier l’étrange mécanique d’une femme, et commence à entrevoir des complications extraordinaires.
IV. Le cortège du baptême va partir du quai de l’Horloge. Il y a du monde partout, des files interminables de curieux, écrasés contre les parapets, une mer de têtes humaines. Le cortège baigne dans le soleil ; les uniformes, les toilettes, les harnais flambent ; les voitures, emplies d’une lueur d’astre, envoient des reflets de glace. La gloire de l’empire à son apogée flotte dans la pourpre du soleil couchant. On sent une immense convoitise venir de la splendeur de la cérémonie, des bannières déployées, de la ville enthousiaste, du monde officiel épanoui.
V. C’est la troisième fois que Clorinde vient chez Rougon, contre toutes les convenances. Ils tiennent des conversations très libres, elle voudrait qu’il soit de tempérament voluptueux, et ne prend plus la peine de dissimuler sa lente séduction. Lui, piqué au jeu, rêve d’en faire sa maîtresse, puis de l’abandonner, pour lui prouver sa supériorité sur elle.
Dans l’écurie, il fait une chaleur humide de baignoire. Quand Rougon la pousse vers le fond, elle ne jette pas un cri, à toute volée, de toutes ses forces, elle lui cravache la figure, d’une oreille à l’autre : « Jamais ! entendez-vous, jamais ! ».
VI. Rougon a accepté sa disgrâce comme un congé mérité par de longs services, mais les mois s’écoulent, une odieuse existence dont il cache avec soin l’ennui écrasant. Il pleut du gris dans son salon. Ce qui le tient debout, c’est l’impopularité dans laquelle il se sent marcher. Clorinde fait de grandes affaires : elle veut préparer une alliance entre l’Italie et la France, en vue d’une prochaine campagne contre l’Autriche. Rougon, un moment très frappé, hausse les épaules devant les choses folles mêlées à son plan.
VII. Dans la galerie de Compiègne, remplie de hauts fonctionnaires, de généraux, de diplomates, de préfets, Rougon prend son allure épaisse de bonhomme, le dos un peu gonflé, la face endormie. Au dîner, la vaisselle plate met au bord de la nappe un cordon de lunes d’argent, faisant du couvert impérial une splendeur dont la clarté flottante emplit l’immense pièce ; la moire satinée des épaules, les fleurs voyantes des toilettes, les diamants des hautes coiffures, donnent comme un rire vivant à la grande lumière des lustres. Rougon prétend vouloir quitter Paris pour monter une ferme modèle dans les Landes. « Il faut rester » lui répond l’empereur.
VIII. Des semaines se passent, Rougon reparle de sa grande affaire, rêvant de se passer de l’appui de l’empereur. Son rêve est de devenir très grand, très puissant, afin de satisfaire, au-delà du naturel et du possible ceux qui l’entourent, ses amis, ceux qu’il subit, ceux dont il a peur, ceux pour lesquels il éprouve une véritable affection. Leurs coups d’encensoir en pleine figure lui sont extrêmement agréables, c’est comme un fumier d’éloges, assez vaste pour qu’il puisse y vautrer à l’aise son grand corps.
IX. Trois bombes ont éclaté sous la voiture de l’empereur, devant l’Opéra. Dix jours plus tard, Rougon est nommé au ministère de l’Intérieur. Le pays tremble dans la terreur qui sort, comme une fumée d’orage, du cabinet de velours vert où il rit tout seul, dans l’odeur de puissance satisfaite qu’il respire. Clorinde a fini par entrer dans ses habitudes, mais il ne sait toujours rien de précis sur elle, l’ignore toujours autant qu’aux premiers jours, multiple, puérile, profonde, bête, très douce et très méchante. Elle dit toujours non, goûtant là une vengeance : elle l’a souhaité tout puissant pour le refuser et faire ainsi affront à sa force d’homme.
X. À Niort, une réception a lieu dans le grand salon de la préfecture. On ne se souvient pas d’un tel éclat, une poussière lumineuse flotte, comme enveloppée des chevelures, des jupes et des bras cerclés d’or qui battent l’air. Il y a trop d’or, trop du musique, trop de chaleur. Pour la première fois, Rougon a conscience d’un trou devant lui, d’un trou plein d’ombre dans lequel, peu à peu, on le pousse.
XI. Au conseil des ministres, ces messieurs demeurent en éveil et en défiance, cherchant certaines de leurs phrases, rattrapant des moitiés de mots, se guettant sous leurs sourires, redevenant subitement sérieux dès qu’ils se sentent surveillés. L’empereur semble ne pas écouter, regardant comme aveuglé la grande lueur claire tombant de la fenêtre en face de lui. « Vous avez trop d’amis, dit-il à Rougon, tous ces gens vous font du tort. » Mais il n’a que sa bande, il ne peut s’appuyer que sur elle, il est condamné à l’entretenir en santé s’il veut se bien porter lui-même.
XII. Clorinde a réalisé son rêve longtemps caressé d’être une force. Son agitation désordonnée, pleine de trous, sans but logique, a fini par aboutir à une influence réelle, indiscutable. Personne ne pourrait dire au juste d’où elle tire son pouvoir, pourtant on la consulte, on la craint même. Rougon vient de temps à autre la voir, les yeux comme allumés par le réveil de l’ancienne passion toujours inassouvie : elle reste son vice, la seule chair qui le trouble. Mais partout où l’empereur la rencontre, il tourne autour de ses jupes de son pas oblique, lui regarde dans le cou, lui parle de près, avec un lent sourire.
XIII. Une clameur croissante monte contre Rougon, la débandade de ses amis est générale. Pour faire taire ses ennemis et asseoir son pouvoir solidement, il imagine d’offrir sa démission, en termes très dignes. S’il tombe, il veut tomber de toute sa hauteur, en homme fort. L’empereur accepte. Quel longue pensée de disgrâce devait-il murir, derrière son visage voilé, pour le briser si brusquement, après l’avoir vingt fois retenu au pouvoir, avec sa parole molle et son sourire entêté ?
XIV. Trois ans plus tard, l’opposition s’est réveillée, le moment est venu de tenter la réconciliation des partis, l’Empire autoritaire se transforme en Empire libéral. Le début de Rougon comme ministre sans portefeuille est attendu, car il n’a pas encore pris la parole. Son corps emplit la tribune, il a l’éloquence banale, incorrecte, enflant les lieux communs, les faisant crever en coups de foudre. Sa seule supériorité d’orateur est son haleine, immense, infatigable, courant magnifiquement pendant des heures, sans se soucier de ce qu’elle charrie. En une heure, il dément toute sa vie politique, prêt à satisfaire, sous la fiction du parlementarisme, son furieux appétit d’autorité. La salle croule, le triomphe tourne à l’apothéose.
Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola