« Je tiens le plan de Nana, et je suis très content. J’ai mis trois jours pour trouver les noms, dont quelques-uns me paraissent réussis ; il faut vous dire que j’ai déjà soixante personnages. Je ne pourrai me mettre à l’écriture que dans une quinzaine de jours, tant j’ai encore de détails à régler. »
Lettre à Henry Céard, 26 juillet 1878.
« Je viens de terminer le plan de Nana, qui m’a donné beaucoup de peine, car il porte sur un monde singulièrement complexe, et je n’aurai pas moins d’une centaine de personnages. Je suis très content de ce plan. Seulement, je crois que cela sera bien raide. Je veux tout dire, et il y a de choses bien grosses. Vous serez content, je crois, de la façon paternelle et bourgeoise dont je vais prendre les bonnes « filles de joie ». – J’ai, en ce moment, ce petit frémissement dans la plume, qui m’a toujours annoncé l’heureux accouchement d’un bon livre. »
Lettre à Gustave Flaubert, 9 août 1878.
« Nana marche bien, mais lentement. Je n’ai que trois chapitres et demi sur seize. La grande difficulté, c’est que ce diable de livre procède continuellement par grandes scènes, par tableau où se meuvent vingt à trente personnages – des premières représentations, des soirées, des soupers, des scènes de coulisses ; et il me faut conduire tout ce monde, les faire parler et agir en masse, sans cesser d’être clair, ce qui est souvent une sacrée besogne. Enfin, je ne suis pas mécontent. Je crois que c’est très raide et bonhomme à la fois. Mon ambition est de montrer la popote des putains, tranquillement, paternellement. Mais je ne serai pas prêt avant un an. »
Lettre à Gustave Flaubert, 30 novembre 1878.
« Voici la page dont je vous ai parlé et qui contient toute l’idée morale et philosophique de Nana :
La chronique de Fauchery, intitulée La Mouche d’Or, était l’histoire d’une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple remontait et pourrissait l’aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et c’était à la fin de l’article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres. »
Lettre à Jules Laffitte, 15 septembre 1879
« Je termine Nana. Vous ne vous imaginez pas le mal que m’a donné et que me donne mon roman. Plus je vais et plus ça devient difficile. Je fais surtout sur le feuilleton imprimé un travail de tous les diables pour redresser les phrases qui me déplaisent ; et elles me déplaisent toutes. [..] Nana est horrible en feuilletons, je ne la reconnais pas moi-même. Vous devez connaître ça, je suis dans une période où l’on est dégoûté de soi. Pourtant, je crois avoir fait un livre, sinon bon, du moins curieux. »
Lettre à Gustave Flaubert, 14 décembre 1879.
« Nana me dégoûte [en feuilleton] dans Le Voltaire. Je donnerais beaucoup pour que ce soit fini. Les derniers chapitres viennent très bien. N’importe, je suis dans une ignorance complète de ce que le livre peut valoir ; jamais je n’ai été si tourmenté, jamais je n’ai désiré si vivement juger l’effet d’ensemble d’un de mes livres. »
Lettre à Henry Céard, 16 décembre 1879.
« Je termine le chapitre dont je vous ai lu le commencement – une fin atroce qui m’épouvante moi-même. Je ne crois pas que je puisse jamais dépasser cette horreur de massacre et d’effondrement. »
Lettre à Henry Céard, 25 décembre 1879.