« Outils du peintre
Chevalet ordinaire. Chevalet à crémaillère avec manivelle (vis sans fin). On peut baisser la toile, lui donner plus ou moins de pente, à l’aide d’un système. Le chevalet double. Les artistes très chics l’ont en bois noir et le drapent avec des étoffes, peluches rouges ou bleues. Le meuble, en haut boîte à couleurs, avec casier en zinc, en bas tiroir pour les brosses et les autres outils. Les brosses sont surtout les communes, les en crin, rondes ou plates ; le mot pinceau entraîne l’idée de finesse, en martre, ronds ou plats, petits, fauves. Le blaireau (pinceau à barbe) rond et bouffant. On blaireaute. On enveloppe avec les fortes touches. Quand on a ébauché en gros, avec la brosse ou le pinceau, selon la délicatesse de l’ouvrage, on passe le blaireau pour envelopper. Ainsi Courbet peignait au couteau, puis blaireautait. Les couteaux de toutes les formes, grands et petits, de très longs, très flexibles, à angles, d’autres pareils à celui des vitriers (celui de Delacroix). Des marchands en inventent, Claude peut en chercher, en adopter un pour la bonne peinture. Le grattoir, ou plutôt le rasoir, pour gratter et couper. Du fusain ou de la craie pour dessiner l’ébauche. Quelquefois des touches au pastel. Une boîte de pastel. Une petite boîte d’aquarelle.
Maintenant, les substances employées. Les couleurs dans des tubes. Les classiques, après avoir ébauché à l’essence, peignaient à l’huile grasse (huile de lin épurée). Dans les couleurs broyées, il n’y a que de l’huile seule. L’essence est employée surtout par les modernes. Elle ne colore pas, elle fait mat. Manet peignait avec beaucoup d’essence. Tous les plein-airs. Des étrangers emploient une dissolution d’ambre pour remplacer l’huile ; cela fait ambré et solide. Tous les corps résineux sont très bons. Ainsi le copal à l’huile, délayé dans de l’essence, fait sécher et empêche de craqueler ; les résineux tiennent. En outre, ils empêchent l’action des couleurs les unes sur les autres, le mélange, les verts devenus jaunes, etc. Le vieux jeu, huile et bitume. Delacroix, flot d’huile, peinture très peu solide. Le vernis dammar, très beau ton avec le bitume. Le siccatif de Courtray, pour faire sécher.
Les châssis. Claude commande un châssis à un menuisier spécial, puis il achète sa toile, sans couture, dix francs le mètre chez le marchand, la tend avec un ami (tenailles spéciales) et la prépare, une couche de céruse avec le couteau à palette (on peut mettre dessous une couche de colle de poisson, mais lui pas), car la colle empêche l’absorption. On fait même des toiles absorbantes, avec une couche de plâtre derrière : l’huile passe dans le plâtre. Embus terrible, on fait revenir la couleur avec un peu de vernis, ou ce mélange : tiers d’eau, tiers d’huile, et tiers d’essence.
La toile est préparée. Il la pose de biais, sous un jour frisant, contre un mur. Par terre sur deux bouts de bois. Elle tient au mur par des cordes, par des bois (un système à Claude). Il a acheté une grande échelle à roulettes, échelle de meunier avec rampe. En haut une plate-forme avec rampe. Une marche mobile avec crampons se place où l’on veut pour s’asseoir. Des traverses consolident l’échelle. Faire l’histoire de cette échelle, la faire acheter en loques, et la lui faire réparer. La traverse qu’il cloue pour la consolider, et à laquelle il se pend.
Le chevalet de campagne, le sac, la pique, le parapluie, le pinchard (siège pour s’asseoir). Le mannequin, pour les robes, les draperies.
On nettoie les pinceaux au savon noir, ce qui vaut le mieux. On peut les laver à l’essence, plus distingué. Autre meuble : chaise haute, calorifère. L’appuie-main.
Puis le peintre qui bronze son cadre. Le profil commandé chez un menuisier, puis bronzé avec de la poudre, ou doré avec des feuilles d’or. L’encadreur très cher, gagne beaucoup. Voleur, peu de crédit (Nivard). Un beau cadre, de deux mètres sur un mètre trente, profil de trente centimètres, vaut cinq cents francs.
Pour faire le tableau. D’abord une esquisse d’ensemble, puis des cartons, des morceaux à part, pris sur nature. Toute la cuisine de l’œuvre . Quand l’esquisse est terminée, on la transporte sur la toile, on la met au carreau. Des spécialistes font ça. Quand le peintre, pour s’exercer, s’en mêle, il se trompe. Puis il dessine à l’huile, il établit à grands traits, par grands plans. La maxime : il vaut mieux commencer en vieillard et finir en jeune homme, que le contraire. Claude commence en jeune, ébauche très belle ; mais la difficulté de finir. Beaucoup ne savent jamais finir. C’est en finissant qu’on gâte tout. Puis le travail, spécial à chaque artiste : Courbet au couteau et au blaireau. Delacroix lavait à pleine huile, mauvaise peinture qui craque. L’huile, c’est l’ennemie.
La question du modèle. On les paie, les femmes, de cinq à six francs la séance de quatre heures. Mais les prix ont augmenté, on en paie dix francs aujourd’hui. Les très belles filles se font payer cher, posent très mal, et sont levées pendant qu’on fait le tableau : désespoir du peintre. Le modèle d’atelier, d’ensemble, est celui qui pose tout nu : différence entre le modèle de l’École, qui pose devant vingt à trente hommes, et le modèle qui va chez un peintre seul. Les adresses de modèles sur le mur, à la craie. La pudeur, effarouchement, hâte de mettre un bas, devant un étranger. Et toutes les histoires. Les peintres couchent peu avec leurs modèles. A l’École, un élève débauche un modèle et l’emmène à Meudon. Il y a des modèles atroces de tête, superbes de corps, les surprises ; la robe, la toilette abîme ou arrange. Le modèle homme n’est jamais payé que cinq francs. Des modèles de femmes ne posent que la tête et les mains.
Les marchands de couleurs font des crédits très longs, et perdent peu, parce qu’ils vendent très cher. La proportion des pharmaciens, vingt pour deux. Baudry a dû soixante mille francs à son marchand de couleurs. Ils salent les vieilles notes. Il y a les chics et les pas chics. »
Documents préparatoires de L’œuvre, NAF 10316, f° 370-376.