I. À deux heures du matin, les voitures de maraîchers montent vers Paris, tout un arrivage traversant les ténèbres, berçant la ville noire du bruit de la nourriture qui passe. Rue de Longchamp, un homme est vautré de tout son long, les bras étendus, tombé la face dans la poussière. Il est lamentable avec son pantalon et sa redingote tout effilochés, qui montrent la sécheresse de ses os. Sa casquette, rabattue peureusement sous les sourcils, découvre deux grands yeux d’une singulière douceur, dans un visage dur et tourmenté. Madame François le fait monter dans sa voiture, jambes perdues dans un tas de navets, visage enfoncé au beau milieu des carottes.
On avait pris Florent sur une barricade le 4 décembre : il avait sur lui une jeune femme en chapeau rose. Au-dessus de sa gorge, deux balles étaient entrées, deux filets de sang coulaient des trous sur ses mains.
Échappé de Cayenne, il a enfin devant lui l’immense lueur de sa chère grande ville, tant regrettée, tant désirée. Ce qui le surprend, ce sont les gigantesques pavillons, dont les toits superposés semblent se perdre, au fond d’un poudroiement de lueurs, comme des palais énormes et réguliers, d’une légèreté de cristal, allumant sur leurs façades les mille raies de flamme de persiennes continues et sans fin. Au lever du jour, les Halles se solidifient, plus géantes encore, machine moderne hors de toute mesure, chaudière destinée à la digestion d’un peuple, gigantesque ventre de métal jetant de la vie dans toutes les veines.
Rue Rambuteau, Florent trouve la nouvelle charcuterie de son frère Quenu, un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. Devant la porte, une femme dont la chair paisible a la blancheur transparente, la peau fine et rosée des personnes qui vivent dans les graisses et les viandes crues : sa belle-sœur, Lisa Macquart.

II. Leur mère s’était tuée au travail pour que Florent pût faire son droit. Alors il emmena Quenu, remit à plus tard toute ambition, trouva quelques leçons, et le regarda grandir en joie, l’adorant, ravi de ses rires, goûtant des douceurs infinies à le sentir autour de lui, bien portant, ignorant de tout souci. Jamais ménage disparate ne s’entendit mieux. L’aîné avait beau maigrir, le cadet avait beau engraisser, ils s’aimaient dans leur mère commune, une femme qui n’avait été que tendresse.
Goûtant les joies amères du dévouement, Florent s’était jeté en pleine bonté idéale, s’était créé un refuge de justice et de vérités absolues, rêvant de bâtir la cité républicaine où il aurait voulu vivre. Aux journées de décembre, il se laissa prendre comme un mouton, et fut traité en loup.
Quand l’oncle Gradelle mourut, Quenu épousa la fille du comptoir de la charcuterie, c’était naturel, tout à fait convenable.
Il faut maintenant expliquer la présence de Florent, en évitant de donner l’éveil à la police. Il est convenu qu’il sera un cousin de Lisa revenu de l’étranger après des affaires malheureuses. Mais il souffre de cette bonté, s’accuse de manquer de délicatesse en s’installant chez eux, se sent glisser à une lâcheté molle et repue. Alors, un soir que Quenu prépare le boudin, quand le flot gras des marmites découvertes où bouillent doucement les graisses, noie le gaz et emplit la pièce d’un brouillard, il accepte un place d’inspecteur à la marée.
Mademoiselle Saget, une petite vieille en robe déteinte, dont la langue est redoutée dans tout le quartier, ne causant que des autres et de leur vie, flairant un micmac, espère surprendre le secret de Florent.

III. Poussées par la belle Normande, l’ennemie intime de Lisa Quenu, les marchandes font sentir au nouvel inspecteur de la marée leur révolte sourde : il attrape les éclaboussures des éponges, manque de tomber sur des vidures faites sous ses pieds, doit se baisser pour éviter d’être souffleté par une pluie de petites limandes qui volent au-dessus de sa tête. Mais son ancien métier de professeur crotté l’a armé d’une patience angélique ; il sait alors garder une froideur magistrale, au milieu des congres, grosses couleuvres d’un bleu de vase aux minces yeux noirs, des saumons dont chaque écaille semble un coup de burin dans le poli du métal, des thons pareils à des sacs de cuir noirâtre.
Les premiers mois, il ne souffre pas trop de l’odeur pénétrante : l’hiver est rude, les poissons, gelés, la queue tordue, sonnent avec un bruit cassant de fonte pâle. Mais au dégel, ils s’amollissent, se noient, des senteurs de chair tournées se mêlent aux souffles fades de boue venant des rues voisines. Et en juin, la puanteur monte des étalages de poissons mouillés à grande eau, qu’un coup de chaleur gâte. Ces souffles puants passent sur Florent avec de grandes nausées. C’est un détraquement lent, un ennui vague qui tourne à une vive surexcitation nerveuse. Les Halles ont hâté la crise : elles lui semblent la bête satisfaite et digérant, Paris entripaillé, cuvant sa graisse, appuyant sourdement l’Empire.
Il s’est mis à fréquenter le café de M. Lebigre, où Gavard, le marchand de volailles, retrouve ses amis politiques. Ils entrent dans sa vie et y prennent une place de plus en plus grande. Bientôt, on lance l’idée d’un complot, qui devient chez Florent une idée fixe qui lui bat le crâne, comme une jouissance toute sensuelle.

IV. Cadine et Marjolin, deux enfants trouvés, sont les diables roses et familiers de ces rues grasses. Pendant qu’ils polissonnent dans les Halles, leur volière, leur étable, Mademoiselle Saget a surpris les préparatifs du complot. Pour lui porter un coup, elle en informe Lisa, qui veut y mettre bon ordre. Ne retrouvant plus autour de lui les bienveillances molles des premiers temps, Florent met deux mois à s’apercevoir de l’hostilité sourde de la maison.
Il rend visite à Madame François, à Nanterre, dans un jardin où les choux ont une large figure de prospérité, où les carottes sont gaies, où les salades s’en vont à la file avec des nonchalances de fainéantes. Ce n’est plus les Halles, ce vaste ossuaire, où ne traînent que le cadavre des êtres, un charnier de puanteur et de décomposition. Tout y agonise, quand la terre est la vie, l’éternel berceau, la santé du monde.

V. Lisa consulte l’abbé Roustan. Quelle conduite tenir vis-à-vis de son beau-frère pour qu’il ne les compromette pas ? Empêcher le mal est un devoir, quitte à employer les moyens nécessaires au triomphe du bien.
Mademoiselle Saget sait enfin ! Florent est un évadé du bagne ! C’est un contentement inespéré, elle serait morte à petit feu s’il s’était refusé plus longtemps à ses ardeurs de curiosité. Elle conte l’histoire à la fruitière et à la fromagère, elles le déchirent ensemble avec fureur, dans une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu’aux ronflements sourds du cantal, du chester, des fromages de chèvre, et aux petites fumées brusques des neufchâtels, des troyes et des mont-d’or. Mais ce sont leurs paroles mauvaises qui puent le plus fort.
Bientôt le quartier entier se rue sur Florent. C’est un grossissement de calomnies, un torrent d’injures, dont la source a grandi sans qu’on sache au juste d’où elle sort. Quenu, ignorant tout, un peu triste de la brouille entre sa femme et son frère, se console en ficelant ses saucissons, et vient parfois sur le seuil de sa boutique étaler sa couenne blanche, qui rit dans la blancheur du tablier tendu par son ventre.
Lisa est montée dans la chambre de Florent et découvre le plan de l’insurrection, écrit sur des bouts de papier raturés, comme un scénario de drame d’une conception à la fois enfantine et scientifique. Elle sent qu’elle doit accomplir son devoir, une action d’une haute honnêteté. À la préfecture de police, on lui montre des rapports et des lettres anonymes : ses renseignements viennent un peu tard, mais on tiendra compte de sa démarche.

VI. Une souricière est tendue chez les Quenu. Gavard est arrêté, avec le pistolet et les cartouches qu’il avait montrés à toutes les marchandes d’un air de conspirateur. Florent se laisse prendre comme un mouton, ce dénouement ne semble pas le surprendre. C’est un soulagement pour lui, sans qu’il veuille se le confesser nettement : il n’y aura pas de bataille, de sang sur des marches, d’éclaboussures de cervelle contre les colonnes. Mais il souffre de la haine de la poissonnerie, de la joie mauvaise crevant les ventres, comme des outres pleines que l’on vide. C’est tout le quartier qui l’a livré, les Halles et la boue des rues étaient complices.
Florent est de nouveau condamné à la déportation. Les Gras, s’arrondissant, crevant de santé, saluant chaque nouveau jour de belle digestion, les Gras ont vaincu.

Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola

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