« Le ventre est l’organe dirigeant, et Lisa, c’est le ventre. »
Documents préparatoires du Ventre de Paris. NAF 10338, f°1
« L’idée générale est : le ventre ; – le ventre de Paris, les Halles, où la nourriture afflue, s’entasse, pour rayonner sur les quartiers divers ; – le ventre de l’humanité, et par extension la bourgeoisie digérant, ruminant, cuvant en paix ses joies et ses honnêtetés moyennes ; – enfin le ventre, dans l’empire, non pas l’éréthisme fou de Saccard lancé à la chasse des millions, les voluptés cuisantes de l’agio, de la danse formidable des écus ; mais le contentement large et solide de la faim, la bête broyant le foin au râtelier, la bourgeoisie appuyant sourdement l’empire, parce que l’empire lui donne la pâtée matin et soir, la bedaine pleine et heureuse se ballonnant au soleil et roulant jusqu’au charnier de Sedan.
Cet engraissement, cet entripaillement est le côté philosophique et historique de l’œuvre. Le côté artistique est les Halles modernes, les gigantesques natures mortes des huit pavillons, l’éboulement de nourriture qui se fait chaque matin au beau milieu de Paris.
Mes Rougon et mes Macquart sont des appétits. J’ai eu dans La Fortune des Rougon toute une naissance d’appétits. Dans La Curée, branche des Rougon, appétit nerveux du million. Dans Le Ventre, branche des Macquart, appétit sanguin des beaux légumes et des beaux quartiers de viande rouge.
Mais, je ferai ce dernier appétit sain et calme. Mon héroïne sera, dans la famille, une exception, la lignée nerveuse. Ce sera un Rubens. J’aurai ainsi une honnête femme, dans la branche des Macquart. Honnête, il faux s’entendre. Je veux lui donner l’honnêteté de sa classe, et montrer quels dessous formidables de lâcheté, de cruauté, il y a sous la chair d’une bourgeoise. C’est tout un type que je grandirai. On ne me reprochera plus mes femmes hystériques, et j’aurais fait une « honnête » femme, une femme chaste, économe, aimant son mari et ses enfants, tout à son foyer, et qui sera socialement et moralement un mauvais ange, flétrissant et dissolvant tout ce qu’il touchera.
Donc, j’appuie surtout sur la place de l’œuvre dans la série. Elle complète La Curée, elle est la curée des classes moyennes, le rut à la nourriture grasse et à la belle digestion tranquille. L’héroïne, belle, bonne chère à la chair fraiche, au sourire honnête, est la contrepartie de Saccard, le museau de fouine fouillant dans l’or. Au fond, même avachissement, même décomposition morale et sociale. »
Documents préparatoires du Ventre de Paris. NAF 10338, f°47-50.
Préface à la première livraison
« Dans ce roman, qui fait partie de la série des Rougon-Macquart, le romancier étudie le monde étrange et pittoresque des Halles, le ventre de Paris, la nation gorgée, digérant, ruminant, cuvant en paix l’ivresse des dernières années. Ce n’est plus la chasse aux millions, la danse formidable des écus de La Curée ; c’est la bête au râtelier, la bête léchant la main qui donne la pâtée. »
Manuscrit du Ventre de Paris, NAF 10335, f° A

Les Halles en 1857