CONCEPTION

  • « L’Assommoir est la peinture d’une certaine classe ouvrière, une tentative avant tout littéraire, dans laquelle j’ai essayé de reconstituer le langage des faubourgs parisiens. Il faut donc considérer le style travaillé et recherché du livre comme une étude philologique, et rien de plus.
    D’autre part, L’Assommoir est en cours de publication, je veux dire que personne ne saurait aujourd’hui en juger la portée morale. J’affirme que la leçon y sera terrible, vengeresse, et que jamais roman n’a eu des intentions plus strictement honnêtes. »
    Lettre à Albert Millaud, 3 septembre 1876, parue dans Le Figaro du 7.

  • « Quant à ma peinture d’une certaine classe ouvrière, elle est telle que je l’ai voulue, sans une ombre, sans un adoucissement. Je dis ce que je vois, je verbalise simplement, et je laisse aux moralistes le soin de tirer la leçon. J’ai mis à nu les plaies d’en haut, je n’irai certes pas cacher les plaies d’en bas. Mon œuvre n’est pas une œuvre de parti et de propagande, elle est une œuvre de vérité. […]
    Si vous désirez connaître la leçon qui, d’elle-même, sortira de L’Assommoir, je la formulerai à peu près en ces termes : instruisez l’ouvrier pour le moraliser, dégagez-le de la misère où il vit, combattez l’entassement et la promiscuité des faubourgs où l’air s’épaissit et s’empeste ; surtout empêchez l’ivrognerie qui décime le peuple en tuant l’intelligence et le corps. Mon roman est simple, il raconte la déchéance d’une famille ouvrière, gâtée par le milieu, tombant au ruisseau ; l’homme boit, la femme perd courage ; la honte et la mort sont au bout. Je ne suis pas un faiseur d’idylles, j’estime qu’on n’attaque bien le mal qu’avec un fer rouge. »
    Lettre à Albert Millaud, 9 septembre 1876

  • « Je n’ai qu’un seul regret, c’est d’apprendre que vous lisez L’Assommoir en feuilleton. Vous ne sauriez croire combien je trouve mon roman laid sous cette forme. On me coupe tous mes effets, on m’éreinte ma prose en enlevant des phrases et en pratiquant des alinéas. Enfin, j’ai le cœur si navré par ce genre de publication, que je ne revois même pas les épreuves. Si j’osais, avant de publier en feuilleton, je mettrais une annonce ainsi conçue : « Mes amis littéraires sont priés d’attendre le volume pour lire cette œuvre. »
    Lettre à Ludovic Halévy, 24 mai 1876.

ÉBAUCHE

  • « Le roman doit être ceci : Montrer le milieu peuple, et expliquer par ce milieu les mœurs peuple ; comme quoi, à Paris, la soûlerie, la débandade de la famille, les coups, l’acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères vient des conditions même de l’existence ouvrière, des travaux durs, des promiscuités, des laisser-aller, etc. En un mot, un tableau très exact de la vie du peuple avec ses ordures, sa vie lâchée, son langage grossier ; et ce tableau ayant comme dessous – sans thèse cependant – le sol particulier dans lequel poussent toutes ces choses. Ne pas flatter l’ouvrier et ne pas le noircir. Une réalité absolument exacte. Au bout, la morale se dégageant elle-même. Un bon ouvrier fera l’opposition, ou plutôt non : un effroyable tableau qui portera sa morale en soi. »
    Documents préparatoires de L’Assommoir, Ms NAF 10271, f° 158.

  • « Je ne puis me sauver de cette platitude de l’intrigue que par la grandeur et la vérité de mes tableaux populaires. Il n’y a là rien qui vienne en avant. Si je prends la vie plate, bête et ordurière, il faut que je donne à cela un grand relief de dessin. Le sujet est pauvre. Il faudrait voir à le faire alors d’une vérité telle qu’il soit un miracle d’exactitude. […] Il faudra que le caractère du livre soit précisément la simplicité, une histoire d’une nudité magistrale, de la réalité au jour le jour, tout droit. Pas de complications, très peu de scènes, et des plus ordinaires, rien absolument de romanesque ni d’apprêté. – Des faits au bout des uns des autres, mais me donnant la vie entière du peuple. »
    Documents préparatoires de L’Assommoir, Ms NAF 10271, f° 162-164.

  • « Pour la politique, suivre l’historique même de la politique sous l’empire, dans le peuple. – Le peuple laissa faire le coup d’état, et l’approuva presque ; les revendications ne vinrent que plus tard. Le mouvement de réveil n’arriva qu’en 63. Je n’ai donc pas à appuyer extrêmement – Dans les commencements, rien ; plus tard, l’éveil, et je ne mène la chose que jusqu’à l’éclat de 1869 ; j’indique, au dénouement, le vaste mouvement de réunions publiques qui se déclare. Plus tard, dans un autre roman, j’étudierai ce moment curieux, d’une façon complète. Le roman de Gervaise n’est pas le roman politique, mais le roman des mœurs du peuple ; le côté politique s’y trouvera forcément, mais au second plan et dans une limite restreinte. »
    Documents préparatoires de L’Assommoir, Ms NAF 10271, f° 171-172.

PRÉFACE

« Les Rougon-Macquart doivent se composer d’une vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. L’Assommoir est venu à son heure, je l’ai écrit, comme j’écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. C’est ce qui fait ma force. J’ai un but auquel je vais.

Lorsque L’Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d’expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d’écrivain ? J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort. C’est la morale en action, simplement.

L’Assommoir est à coup sûr le plus chaste de mes livres. Souvent j’ai dû toucher à des plaies autrement épouvantables. La forme seule a effaré. On s’est fâché contre les mots. Mon crime est d’avoir eu la langue du peuple. Ah ! la forme, là est le grand crime ! Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l’étudient et jouissent de sa verdeur, de l’imprévu et de la force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs. N’importe, personne n’a entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois d’un vif intérêt historique et social.

Je ne me défends pas d’ailleurs. Mon œuvre me défendra. C’est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. Seulement, il faudrait lire mes romans, les comprendre, voir nettement leur ensemble, avant de porter les jugements tout faits, grotesques et odieux, qui circulent sur ma personne et sur mes œuvres. Ah ! si l’on savait combien mes amis s’égayent de la légende stupéfiante dont on amuse la foule ! Si l’on savait combien le buveur de sang, le romancier féroce, est un digne bourgeois, un homme d’étude et d’art, vivant sagement dans son coin, et dont l’unique ambition est de laisser une œuvre aussi large et aussi vivante qu’il pourra ! Je ne démens aucun conte, je travaille, je m’en remets au temps et à la bonne foi publique pour me découvrir enfin sous l’amas des sottises entassées. »

1er janvier 1877.

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