Rue de la Goutte-d’or

Du côté de la rue des Poissonniers, très populeux. Du côté opposé, province.

La grande maison entre deux petites est près de la rue des Poissonniers, à quatre ou cinq maisons. Elle a onze fenêtres de façade et six étages. Toute noire, sans sculptures ; les fenêtres avec des persiennes noires, mangées, et où des lames manquent. La porte au milieu, immense, ronde. A droite, une vaste boutique de marchand de vin, avec salles pour les ouvriers ; à gauche, la boutique du charbonnier, peinte, une boutique de parapluies, et la boutique que tiendra Gervaise et où se trouvait une fruitière. En entrant sous le porche, le ruisseau coule au milieu. Vaste cour carrée, intérieure. Le concierge, en entrant à droite ; la fontaine est à côté de la loge. Les quatre façades, avec leurs six étages, nues, trouées des fenêtres noires, sans persiennes ; les tuyaux de descente avec les plombs. En bas, des ateliers tout autour ; des menuisiers, un serrurier, un atelier de teinturerie, avec les eaux de couleur qui coulent. Quatre escaliers, un pour chaque corps de bâtiment A.B.C.D. Au-dedans, de longs couloirs à chaque étage, avec des portes uniformes peintes en jaune. Sur le devant, dans les logements à persiennes, logent des gens qui passent pour riches. Dans la cour, tous ouvriers ; les linges qui sèchent. Il y a le côté du soleil, et le côté où le soleil ne vient pas, plus noir, plus humide. Cour pavée, le coin humide de la fontaine. Le jour cru qui tombe dans la cour 2.

En face de la maison, il y a une maréchalerie ; grand mur gris, sans fenêtre ; une porte béante, au milieu, montre une cour pleine de charrettes et de carrioles, les brancards en l’air ; il y a aussi une forge, on entend le ronflement du soufflet et l’on voit la lueur du fourneau. Sur le mur, des fers à cheval peints en noir, en éventail. A droite et à gauche de la porte, des échoppes, des trous, à devanture peinte. Un marchand de ferraille, À la Bonne Friture, un horloger (réparations d’horlogerie). Des coucous, au fond du trou, qui marchent ; à la vitrine, des montres montrant leur boîtier d’argent ; devant le petit établi tout plein d’outils mignons, et de choses délicates sous des verres, un monsieur en redingote, proprement mis, qui travaille continuellement (l’image de la fragilité au milieu du vacarme et des secousses de la rue populacière).

Dans la rue il y a des marchands de vin, à plafonds bas, une mercerie lingerie et bonneterie d’ouvriers, des traiteurs, noirs, vastes, rideaux sales, verdure, salles avec des vitres poussiéreuses, jaunies, au travers de la saleté desquelles on voit le jour ; de l’autre côté, des épiciers, des fruitières. Il y a un rémouleur dans un trou. L’y grec formé au fond de la rue par le prolongement de la rue de la Goutte-d’Or et la rue de Chartres.

Des chats accroupis et ronronnant sur les portes.

Des intérieurs entrevus par les fenêtres ouvertes ; le lit défait, les guenilles traînant, les berceaux en morceaux traînant ; un savetier, la terrine pleine d’eau où trempe la poix. »

Documents préparatoires de L’Assommoir, NAF 10271, f° 106-108

LE LAVOIR

Un grand hangar, monté sur piliers de fonte, à plafond plat, dont les poutres sont apparentes. Fenêtres larges et claires. En entrant, à gauche, le bureau, où se tient la dame ; petit cabinet vitré, avec tablette encombrée de registres et de papiers. Derrière les vitres, pains de savon, battoirs, brosses, bleu, etc. À gauche est le cuvier pour la lessive, un vaste chaudron de cuivre à ras de terre, avec un couvercle qui descend, grâce à une mécanique. A côté est l’essoreuse, des cylindres dans lesquels on met un paquet de linge, qui y sont pressés fortement, par une machine à vapeur. Le réservoir d’eau chaude est là. La machine est au fond, elle fonctionne tout le jour, dans le bruit du lavoir ; son volant ; on voit le pied rond et énorme de la cheminée, dans le coin. Enfin, un escalier conduit au séchoir, au-dessus du lavoir, une vaste salle fermée sur les deux côtés par des persiennes à petites lames ; on étend le linge sur des fils de laiton. A l’autre bout du lavoir, sont d’immenses réservoirs de zinc, ronds. Eau froide. Le lavoir contient cent huit places. Voici maintenant de quoi se compose une place. On a, d’un côté, une boîte placée debout, dans laquelle la laveuse se met debout pour garantir un peu ses jupes. Devant elle, elle a une planche, qu’on appelle la batterie et sur laquelle elle bat le linge ; elle a à côté d’elle un baquet sur pied dans lequel elle met l’eau chaude, ou l’eau de lessive. Puis derrière, de l’autre côté, la laveuse a un grand baquet fixé au sol, au-dessus duquel est un robinet d’eau froide, un robinet libre ; sur le baquet, passe une planche étroite où l’on jette le linge ; au-dessus, il y a deux barres, pour pendre le linge et l’égoutter. Cet appareil est établi pour rincer. La laveuse a encore un petit baquet sur pied pour passer au bleu, deux tréteaux pour placer le linge, et un seau dans lequel elle va chercher l’eau chaude et l’eau de lessive.

On a tout cela pour huit sous par jour.

La ménagère paie un sou l’heure.

L’eau de javel coûte deux sous le litre. Cette eau, vendue en grande quantité, est dans des jarres.

Eau chaude et eau de lessive, un sou le seau. On emploie encore du bicarbonate – de la potasse pour couler.

Le chlore est défendu. »

Documents préparatoires de L’Assommoir, NAF 10271, f° 180-182.

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