PREMIÈRE PARTIE
I. Jean, un semoir de toile noué sur le ventre, y prend tous les trois pas une poignée de blé que d’un geste, à la volée, il jette. À 29 ans, après Solferino, c’est un camarade qui l’a amené en Beauce. Son ancien métier de menuisier ne lui allait plus, des histoires l’ont fait rester à la ferme.
II. Le père Fouan, jadis très robuste, s’est desséché et rapetissé dans une passion de la terre si âpre que son corps se courbe. Chez le notaire, il est décidé à partager ses biens de son vivant entre ses deux fils et sa fille. Il doit se faire une raison, les jambes ne vont plus et les bras ne sont guère meilleurs. Quand on discute de la pension, une colère grandit en lui, devant l’enragement de ses enfants à s’engraisser de sa chair, à lui sucer le sang, vivant encore. Debout, menaçant, despote, il menace : les enfants ne soufflent mot, soumis, domptés.
III. Il faut tout partager, ainsi aucun des trois ne pourra avoir quelque chose dont les deux autres n’ont point. On surveille l’arpenteur, comme s’il allait tricher d’un centimètre en faveur d’une des parts. Chez Buteau grandit l’amertume, la sourde rage de ne pas tout garder : c’est si beau, ces hectares d’un seul tenant !
IV. L’acte est prêt, il faut tirer les lots. Hyacinthe, dit Jésus-Christ tire le 2, Fanny le 1, Buteau refuse le 3 : c’est le mauvais, il fallait partager autrement, on se fout de lui, on a triché.
V. L’hiver, on veille dans l’étable, bien à l’aise, bien au chaud, chaque voisin apporte la chandelle à son tour. Les femmes tricotent, filent, les hommes fument lentement avec de rares paroles. Ce soir, Jean, d’une voix blanche et ânonnante d’écolier qui ne tient pas compte de la ponctuation, lit Jacques Bonhomme qu’a apporté le colporteur : l’heure du triomphe de l’homme des champs sonnera bientôt au cadran de l’histoire.
DEUXIÈME PARTIE
I. Jean paraît né pour les champs, avec sa lenteur sage, son amour du travail réglé, son tempérament de bœuf de labour. Il travaille pour le fermier Hourdequin, qui donne son temps, son argent, sa vie entière à la terre, ainsi qu’à une femme bonne et fertile, dont il excuse les caprices, même les trahisons.
II. Un soir, Jean revient à pied au bourg, lorsque l’allure d’une carriole, qui semble vide, l’étonne. Le père Mouche y est tombé à la renverse, la face si rouge qu’elle en paraît noire. Il ne respire plus, il est mort. Un souffle terrible de tempête monte, grandit, des profondeurs noires de la campagne. On dirait le galop d’une armée dévastatrice : c’est la grêle.
III. Le vieux Fouan a été nommé tuteur des filles Mouche, Lise, enceinte de Buteau, et Françoise, qui entre dans sa quinzième année. Jean leur donne un coup de main à réparer les dégâts de la grêle. Dans le village, on affirme qu’il couche avec les deux.
IV. Dans leur coin de pré, les faucheurs vont sans relâche, et le sifflement de la faux monte, large, régulier, de cette besogne qu’on ne voit pas. Françoise balance sa fourche, prend l’herbe, la jette dans le vent qui l’emporte comme une poussière blonde. Son odeur âcre de fille, son parfum violent de foin fouetté de grand air, grisent Jean, raidissent ses muscles, dans une rage brusque de désir. C’est donc cette gamine qu’il veut ?
V. Deux ans se sont passés, avec le retour fatal des saisons, le train éternel des choses, les mêmes travaux, les mêmes sommeils. Puis, en plein calme, éclatent deux gros événements, la question d’un nouveau chemin, et les prochaines élections. Le candidat officiel est contre le libre-échange : les prix s’avilissent, il faut se défendre contre l’étranger, les paysans ont besoin de vendre leurs grains à un prix rémunérateur. Il est élu, car il faut le bon ordre, le maintien des choses, l’obéissance aux autorités qui assurent la vente.
VI. Au marché, Buteau marchande pour Lise et Françoise une nouvelle vache, une bonne laitière, la tête sèche, les cornes fines, le ventre un peu fort, la queue mince, plantée très haut. Il rigole, demande à Lise son enfant. Ça y est : leur mariage est résolu. Ce sera le jour de la Saint-Jean.
VII. Le curé a lâché sa messe dans un coup de colère. La noce se fait très simple, en famille. Très sobres chez eux, tous se crèvent d’indigestion chez les autres. Dans l’abandon de l’ivresse croissante, les agrafes de corsages se défont, les boucles de pantalon se lâchent, on change de place, on cause par petits groupes autour de la table, grasse de sauce, maculée de vin. À un moment, une volée de merde ramassée au pied de la haie est jetée à pleine main par la fenêtre ouverte : c’est Jésus-Christ qui se venge de n’avoir pas été invité.
TROISIÈME PARTIE
I. Enfin Buteau la tient, sa part, si ardemment convoitée, qu’il avait refusée dans une rage de désir, de rancune et d’obstination ! Il ne sait plus pourquoi il s’était entêté, et c’est une grande passion satisfaite, la joie brutale de la possession. Une froideur a grandi entre les deux sœurs, il semble à Françoise qu’on lui prend Lise. Elles partageaient tout, mais il y a maintenant cet homme, ce mâle brutal. Puisque sa sœur est désormais à un autre, elle voudrait ce qui est à elle, la moitié de la terre et de la maison.
II. Buteau ne paie pas plus que Jésus-Christ la pension des Fouan. « Tu veux donc nous tuer ? » lui demande sa mère. Alors il se retourne vers elle, la saisit par les poignets, sans voir sa pauvre tête grise, usée et lasse, et la pousse d’une secousse si rude qu’elle s’en va défaillante, tomber contre le mur. À sa troisième visite, le médecin la trouve à l’agonie. Il y a beaucoup de monde à l’enterrement. Buteau et le reste de la famille s’y conduisent très bien.
III. Depuis un an, Fouan vit silencieux dans sa maison déserte, restant des heures devant les auges moisies de l’étable, se plantant à la porte de la grange vide, comme cloué là par une songerie profonde. Faudrait-il qu’il habite chez sa fille ? Non, car tous voudraient qu’il dise oui. Non, car il n’aurait plus de maison, lui qui n’a déjà plus de terres. Il dira oui quand ça lui plaira.
IV. La moisson, c’est l’époque ou la grande solitude triste de la Beauce s’égaie le plus, peuplée de monde, animée d’un continuel mouvement de travailleurs, de charrettes et de chevaux. Françoise sent bien que Buteau veut d’elle, depuis qu’il l’a vue pousser et qu’elle est une vraie femme, mais elle ne cède pas : est-ce qu’elle voudrait des restes d’une autre ? Mais pourquoi cède-t-elle à Jean ? C’est la même rudesse, la même âcreté du mâle, fumant du gros travail au soleil. Elle ne l’aime pas, ce vieux !
V. Lise va accoucher, les eaux partent, on entend le glouglou d’un goulot géant qui se vide, le petit miaule, elle est secouée comme une outre dont la peau se dégonfle. La vache a vêlé.
VI. Jean se casse la tête à chercher comment ravoir Françoise. C’est un désir croissant, une passion envahissante. Elle s’échappe sans cesse, peureuse, il faut qu’il la demande en mariage. « Elle n’est pas pour ton bec, vilain merle » lui crie Buteau : il faudrait qu’il partage la part de sa femme.
QUATRIÈME PARTIE
I. Les rapports deviennent de plus en plus difficiles entre Fanny et son père : il vaudrait mieux avoir quatre vaches à conduire qu’un vieux à garder ! Elle est toujours derrière lui, essuyant, balayant, le bousculant pour ce qu’il fait et pour ce qu’il ne fait pas. Rien de grave, et tout un supplice dont il finit par pleurer seul, dans les coins. C’est fini, il va aller vivre chez les Buteau.
II. Mais il y a toujours des querelles, deux qui se mangent, le mari et la femme, ou la belle-sœur et le mari, ou la sœur et la sœur, quand les trois ne sont pas à se dévorer ensemble. La haine inconsciente entre Lise et Françoise s’aggrave, sans raison apparente, mais la cause unique est l’homme, ce Buteau tombé là comme un ferment destructeur. Le père Fouan évite de s’en mêler, mais on le force à prendre parti. Un jour, il disparaît pour s’installer chez son aîné.
III. Ce Jésus-Christ est très venteux, on croirait qu’il tire de son ventre ce qu’il veut, une vraie boite à musique. Chez lui, la gaieté sonne très haut, c’est une vie d’insouciance et de rigolade : on ne la mange pas, la terre, alors on emprunte dessus, c’est une façon d’y faire pousser des pièces de cent sous ! Quand ils découvrent que le père Fouan a des rentes cachées, ses fils rivalisent tout à coup de déférence et de tendresse. Cela l’épouvante : allait-il avoir des embêtements, maintenant !
IV. Dans les vignes dorées par le soleil couchant, sous le grand ciel rose, le va-et-vient des paniers et des hottes s’active, au milieu de la griserie de tout ce raisin charrié. L’odeur forte du vin suffirait pour soûler le monde. L’âne Gédéon a siroté un petit baquet contenant aisément une vingtaine de litres, tout y a passé, son ventre s’est arrondi comme une outre. Il culbute les quatre fers en l’air, se roule sur le dos, et se met à braire si fort qu’il semble se foutre de tous les personnages qui le regardent.
V. À nouveau juillet. À nouveau les élections. Le candidat de l’opposition est devenu le candidat officiel, le protectionnisme est devenu le libre-échangisme. Françoise est partie, Buteau devrait la ramener à coups de pied au cul.
VI. Françoise a vingt et un ans, elle est sa maîtresse, à cette heure. Elle veut en finir, se faire rendre son bien, sa part d’héritage. Si on s’entend pour la voler, seul un homme, un mari, la tirera de là. Jean est bien doux, bien honnête : autant celui-là, du moment qu’elle n’en aime pas un autre et qu’elle en prend un, n’importe lequel, pour qu’il la défende et que Buteau enrage.
CINQUIÈME PARTIE
I. L’existence de Jean et Françoise a pris le train actif et monotone des campagnes. Souvent il rencontre Buteau, et les deux hommes sont forcés de travailler côte à côte, puisqu’ils sont voisins. Jamais ils ne s’adressent la parole. Fouan est tombé raide dans sa chambre, laissant découvert un petit paquet de papiers, son magot !
II. Fouan ne sait où aller, hébété de se trouver dehors. La nuit s’est faite, le vent glacé le flagelle, il rôde au hasard, il ne pense plus, il ne sait plus, ce coin de village dont il connaît chaque pierre est comme un lieu lointain, inconnu, terrible où il se sent étranger et perdu, incapable de se conduire. Pendant un an, il décline, erre lentement par les routes, demeure des heures au bord des champs, de sa terre, ingrate, passée au bras d’un autre mâle, et qui continue à produire sans lui réserver sa part.
III. Cet après-midi de février, il reste à Jean deux bonnes heures de besogne à faire avec sa charrue. Toujours il a eu des idées de retraite à a campagne. Mais que de misère, en ces dix années ! D’abord sa longue attente de Françoise, ensuite la guerre avec les Buteau. Et, à cette heure qu’il a Françoise, depuis deux ans qu’ils sont mariés, peut-il se dire vraiment heureux ? Ils vivent en bon accord, mais ce n’est point ça, il reste un étranger pour sa femme. Dans la luzerne, Lise aide Buteau à violer Françoise, les deux sœurs se battent, Françoise s’abat en jetant un cri terrible : la faux lui est entré dans le flanc. Quand Jean arrive, elle dit qu’elle est tombée.
IV. Le médecin a dit qu’il n’y a plus rien à faire, on ne fait rien. Dans la fièvre ardente qui brûle Françoise, sa volonté semble se bander et résister au délire, tellement elle craint de parler. À quoi bon, puisqu’elle va mourir ? Ce sont des choses qu’on enterre entre soi, dans le coin de terre où l’on a poussé, des choses qu’il ne faut jamais, à aucun prix, étaler devant un étranger ; et Jean est un étranger, ce garçon qu’elle n’avait pu aimer d’amour. La terre, la maison, ne sont pas à cet homme, qui vient de traverser son existence par hasard, comme un passant : elle ne lui doit rien.
V. C’est un enterrement convenable, sans rien de trop. Jean pleure, Buteau s’essuie les yeux. Au dernier moment, Lise a déclaré que ses jambes se cassaient. « Fous-le camp, ils te saigneront comme ils ont saigné la petite » dit Fouan à Jean, qui comprend tout, et la mort de Françoise, et son obstination muette. Il avait déjà un soupçon, et ne doute plus qu’elle a sauvé sa famille de la guillotine. Mais Fouan avait tout vu, il pourrait vendre les Buteau. Il faut y mettre ordre, l’étouffer avec l’oreiller, même le brûler, car sa face est devenue violette, un vrai nègre. Cela devait arriver un jour, renverser une chandelle sur la paillasse, avec ce vieux retombé en enfance !
VI. Des bruits de guerre circulent et épouvantent depuis quelques jours. Ce que Jean ignore encore au fond de lui, ce que la nouvelle lui a réveillé d’inconscient, toute une flamme mal éteinte, renaissante, se réveille d’un coup. Sa dernière hésitation à partir, le pensée qu’il ne sait pas où aller, en est emportée, balayée comme un grand souffle de vent. Eh donc ! il ira se battre, il se réengagera. Les gens sont trop canailles, ça le soulage, l’espoir de démolir des Prussiens ; et, puisqu’il n’a pas trouvé la paix dans ce coin où les familles se boivent le sang, autant vaut-il qu’il retourne au massacre.
Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola
