« Vous savez que nous sommes tombés tous deux sur le même titre. Un de mes romans en préparation s’appelle aussi La Terre. Mais, sans jeu de mots, la terre est assez vaste, et nous y pouvons tenir tous deux à l’aise. »
Lettre à Henry Alis, 18 juillet 1883.

« Ensuite, je commencerai le roman qui me tient tant au cœur, le roman des paysans. Je veux essayer une sorte de poème de la terre. Pour cela, j’irai dans quelque campagne du centre de la France. Je m’installerai avec ma femme dans une ferme, prétextant une maladie pour laquelle l’atmosphère de l’étable est souveraine, et me gardant bien de dire que je suis un romancier. Pendant un mois je vivrai là avec les paysans, mangeant avec eux, les suivant aux champs, et j’essaierai de bien voir et de bien entendre. »
Interview au Matin, 7 mars 1885.

« Après une journée à peu près inutile passée à Chartres, je suis ici depuis hier, et je tiens le coin de terre dont j’ai besoin. C’est une petite vallée à quatre lieues d’ici, dans le canton de Cloyes, entre le Perche et la Beauce, et sur la lisière même de cette dernière. J’y mettrai un petit ruisseau se jetant dans le Loir, – ce qui existe d’ailleurs ; j’y aurai tout ce que je désire, de la grande culture et de la petite, un point central bien français, un horizon typique, très caractérisé, une population gaie, sans patois. Enfin, le rêve que j’avais fait. […]
Je retourne demain à Cloyes, d’où j’irai revoir en détail ma vallée et ma lisière de Beauce. Après-demain, j’ai rendez-vous avec un fermier, à trois heures d’ici, en pleine Beauce, pour visiter sa ferme. J’aurai là toute ma grande culture. Aujourd’hui, je suis resté à Châteaudun, pour assister à un grand marché de bestiaux. Tout cela va me prendre quelques jours, mais je rentrerai avec tous mes documents, prêt à me mettre au travail. »
Lettre à Henry Céard, 6 mai 1886.

« Je travaille encore au plan, je ne me mettrai à écrire que dans une quinzaine de jours ; et ce roman m’épouvante moi-même, car il sera certainement un des plus chargés de matière, dans sa simplicité. J’y veux faire tenir tous nos paysans, avec leur histoire, leurs mœurs, leur rôle ; j’y veux poser la question sociale de la propriété ; j’y veux monter où nous allons, dans cette crise de l’agriculture, si grave en ce moment. Toutes les fois maintenant que j’entreprends une étude, je me heurte au socialisme. Je voudrais faire pour le paysan avec La Terre ce que j’ai fait pour l’ouvrier avec Germinal. – Ajoutez que j’entends rester artiste, écrivain, écrire le poème vivant de la terre, les saisons, les travaux des champs, les gens, les bêtes, la campagne entière. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 27 mai 1886.

« Je suis en plein travail pour mon roman La Terre. Mais c’est une besogne terrible. […] Je ne suis pas mécontent des quelques chapitres faits ; seulement le sujet me déborde, il est si vaste, car j’y veux faire tenir toute la question rurale, en France : mœurs, passions, religion, politique, patrie, etc. ; enfin, je ne puis que me donner tout entier, et c’est ce que je fais ; le reste est hors de ma puissance. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 29 juillet 1886.

« Je n’en suis encore qu’aux deux tiers de La Terre. Ce roman, qui sera le plus long de tous ceux que j’ai écrits, me donne beaucoup de mal. J’en suis content autant que je puis l’être, c’est-à-dire avec ma continuelle fièvre et mes éternels doutes. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 12 mars 1887.

« La Terre sera une étude du paysan français : son amour du sol, sa lutte séculaire pour le posséder, ses travaux écrasants, ses courtes joies et ses grandes misères. Il sera étudié également en relation avec la religion et la politique, sa condition actuelle étant expliquée par son histoire passée ; même son avenir sera indiqué, c’est-à-dire le rôle qu’il pourrait jouer dans une révolution socialiste. Et cela, bien entendu, dans le drame poignant que dénouera le livre, le drame du père partageant ses biens entre ses enfants avant de mourir ; d’où le long et abominable martyre qui s’ensuivra, toute une action tragique qui mettra en branle près de soixante personnages, un village entier de la Beauce ; sans compter une intrigue secondaire, le côté passionnel de l’histoire, une querelle entre deux sœurs, séparées par la venue d’un homme, encore et toujours à cause d’une question de propriété. En somme, je veux faire pour le paysan ce que j’ai fait dans L’Assommoir pour l’ouvrier parisien : écrire son histoire, dire ses mœurs, ses passions, ses souffrances, sous la fatalité du milieu et des circonstances sociales. »
Lettre à Henry Vizetelly, 24 mars 1887.

« Rognes est inventé, et je me suis servi d’un village, Romilly-en-Beauce, en le modifiant. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 7 juillet 1887.

« Si La Terre n’a pas paru et ne paraitra que le 15 novembre, c’est tout simplement que le volume n’est pas prêt. J’ai été pris de grandes paresses, j’ai traîné pour les corrections littéraire que j’ai l’habitude de faire sur les feuilletons ; et c’est ainsi que les épreuves sont restées sur ma table de travail. Je n’étais pas fâché d’autre part de laisser un peu le calme se faire, avant de lancer le volume. Jamais je n’ai eu l’idée d’écrire une préface. Mon livre se défendra tout seul et vaincra, s’il doit vaincre. J’en suis content, je crois qu’un retour d’opinion se produira en sa faveur. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 30 octobre 1887.

« Il y a de la vigne à la lisière de la Beauce, les vignobles de Montigny, près desquels j’ai placé Rognes, sont superbes. Tous les noms que j’ai employés, sauf celui de Rognes, sont beaucerons. Il n’est pas vrai que la fatigue soit contraire à Vénus : demandez aux physiologistes. Si vous croyez que les paysans ne se reproduisent que le dimanche et le lundi, je vous dirai d’y aller voir. La lutte politique dans les villages n’est point aussi âpre, ouvertement, que vous le pensez : tout s’y passe en manœuvres sourdes. Mes Charles sont copiés sur nature ; et puis, c’est vrai, eux et Jésus-Christ sont la fantaisie du livre. […] La vérité est que l’œuvre est déjà trop touffue, et qu’il y manque pourtant beaucoup de choses. C’est un danger de vouloir tout mettre, d’autant plus qu’on ne met jamais tout. Du reste, c’est là l’arrière-plan, car mon premier plan n’est fait que des Fouan, de Françoise et de Lise : la terre, l’amour, l’argent. »
Lettre à Edmond Lepelletier, 27 novembre 1887.

« Vous ajoutez que notre thèse, à Tolstoï et à moi, est la même, et peut se résumer en ceci : « Le travail de la terre est corrupteur. » Tolstoï, il me semble, protesterait bien haut, et quant à moi, je vous affirme que je n’ai jamais voulu prouver une telle chose, radicalement fausse à mon avis. Ce que je pense, c’est que la petite propriété telle qu’elle existe chez nous, c’est que la suite des faits sociaux qui ont abouti à notre forme sociale nous ont donné notre paysan d’aujourd’hui, avec ses qualités et ses vices. Notre paysan est le prisonnier de sa terre, et non l’homme libre qu’il devrait être. Comment voulez-vous qu’il n’y étouffe pas, dans son ignorance et sa passion unique ? Labourer est très sain, mais à condition qu’on sera le maître et non le forçat du champ, qui ne vous lâche plus, dès qu’on le tient. »
Lettre à Henry Fouquier, 11 février 1888.

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