« La Beauce.

Les fermes et les villages bleuâtres le matin, par le beau temps. Plusieurs en vue ; les clochers qui émergent derrière les plis de terrain. Les routes sans arbres, très blanches, entre les champs verts ; plates, droites à l’infini, des lieues, et les poteaux télégraphiques. A l’horizon des petits arbres en peignes, une lisière de bois très lointaine, un bouquet, une remise, une oasis. Quelques arbres isolés, nus et tristes sur l’horizon. Des moulins de bois sur pied, une échelle derrière, grandes ailes chargées de voiles : ils ne se chargent que de la mouture. Des mares immobiles, les unes bleues, les autres grises, les autres sales. La terre labourée est jaune, grasse, forte, profonde. Des ondulations lentes et immenses se détachent sur le ciel, pareilles à celles de la mer par un temps à demi calme.

La Beauce n’est belle qu’en mai et juin, toute verte ; puis en juillet, toute dorée, quand le blé est mûr. Mais, après la moisson, abominable. Les chaumes pelés à l’infini, jaune sale, secs, désolés. Et les meules de place en place. Par la neige, par les grands vents, par la pluie qui laisse à la longue des mares, surtout dans la Beauce pouilleuse.

Les petits villages isolés ont de maigres verdures d’arbres fruitiers. Chaque ferme a son jardin, un petit fruitier, arrosé par l’eau du puits. Un potager aussi. Les fermes, sur une ondulation au ras de l’horizon, contre le ciel.

Dans la comparaison avec la mer ; les vagues sous le vent qui souffle de loin : les seigles gris, au remous rougeâtre, le blé vert jaune, l’avoine vert bleu, le trèfle incarnat d’un vert plus noir que le trèfle ordinaire, et la couleur, lorsque les fleurs rouges ou roses sont en masse ; donc l’ondulation des vagues ; puis les clochers qui émergent comme des mâts ; puis, les villages pareils à des îlots gris ; puis, au coucher du soleil, des façades lointaines, vivement éclairées, toutes blanches comme des voiles ; et le souffle du large, et la monotonie, un continent lointain figuré par un bois, la nudité, la voûte ronde du ciel au-dessus de l’infini. La mer.

L’hiver chemins abominables. Ils sont faits de pierres tendres, qui se détrempent, se délayent en une boue jaune, liquide.

Les essences des arbres sont dans les bois : le bouleau, l’orme, le frêne, le chêne, beaucoup de pins aussi. Dès qu’il y a un peu d’eau, les peupliers, les saules, les aulnes poussent.

Beaucoup de passages à niveau, le long des chemins de fer. Des pies et des corbeaux. On voit à cinq et six lieues.

La Beauce sous le grand soleil, avant et après la moisson, morte et brûlée, sèche. Lourdeur de plomb. Années de sécheresse. Les citernes tarissent.

Les fermes noyées dans les blés hauts. Les fermes roses le matin. »

Documents préparatoires de La Terre, NAF 10329, f° 116-120.

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