I. Pendant une tempête d’équinoxe, sous un ciel livide où le vent d’ouest emporte les grands nuages noirs, comme des haillons de suie dont les déchirures traînent au loin dans la mer, Pauline Quenu, orpheline de 10 ans, arrive chez son grand-oncle Chanteau. À Bonneville, à peine deux cents habitants survivent, collés à leur rocher avec un entêtement stupide de mollusques. Chanteau souffre de la goutte et a dû vendre son commerce de bois, les affaires du ménage vont de mal en pis, la maison s’en va à la débandade, dans l’aigreur involontaire de la vie commune du foyer. Lazare, au grand désespoir de sa mère, projette d’écrire des opéras. Madame Chanteau tire de son grand sac de cuir noir un paquet volumineux, serré entre les deux feuilles de carton d’un vieux registre de charcuterie, dont on avait arraché les pages : les titres dont a hérité Pauline. Elle les enferme dans le premier tiroir de gauche du secrétaire, en attendant le jour où Pauline sera assez grande fille pour en disposer elle-même.
II. La présence de Pauline apporte une joie dans la maison, il naît une espérance au milieu de la ruine, sans qu’on sache au juste laquelle. Pendant ses crises, Chanteau ne supporte plus personne d’autre qu’elle. Une étroite camaraderie se noue avec Lazare. Ils galopent en courses folles, sautent de roche en roche, jouent au naufrage, sortent de la baignade luisants de sel, séchant leurs bras nus sans cesser leurs jeux hardis de galopins. Lazare n’aime pas regarder les étoiles : elles lui font peur, il ne peut que bégayer : « oh ! mourir, mourir ! »
L’arrivée de Louise, fille d’une amie de Madame Chanteau, déclenche chez Pauline un accès fou de sauvagerie, de violence jalouse.
Lazare part à Paris étudier la médecine, réussit d’abord, puis échoue. Pauline grandit dans le spectacle de l’immense horizon, et découvre ses premières règles. Tout ce qui vit, tout ce qui souffre l’emplit d’une tendresse active, d’une effusion de soins et de caresses. Elle prête trente mille francs pour que Lazare puisse lancer une grande exploitation d’algues marines, qui doit rapporter des millions grâce à des réactifs nouveaux.
III. Pendant des mois d’intimité complète, Pauline et Lazare mélangent des plantes sèches, brûlent des algues, traitent par le froid la lessive des cendres. L’usine devient un gouffre où ils jettent de l’argent à poignées, persuadés qu’ils le retrouveraient en un lingot d’or au fond. L’on vit sur le tiroir du secrétaire. Ce vieux bahut, qui avait d’abord donné à la maison un air de gaieté et de richesse, est à présent comme une boîte empoisonnée de tous les fléaux, lâchant le malheur par ses fentes. Lazare doit s’avouer vaincu, il faut liquider l’affaire. Chez Pauline, la fraternité est devenue de l’amour. Madame Chanteau hésite : faut-il marier Lazare à Louise, mieux dotée ?
IV. Louise a dix-neuf ans, Pauline dix-sept. Lazare a maintenant l’espoir de protéger le village et de vaincre la mer avec tout un système d’épis et d’estacades. Il faut douze mille francs, que lui prête Pauline. Mais même en donnant sans cesse son argent, elle se sent moins aimée qu’autrefois : c’est autour d’elle comme une rancune dont elle ne peut s’expliquer la cause, et qui grandit de jour en jour. Une angine dégénère en phlegmon, la migraine ne la quitte pas, elle ne sait pas de quelle façon poser la tête, torturée par l’insomnie, des maux d’oreilles atroces lui font perdre connaissance. Le pessimisme même de Lazare a sombré devant ce lit de douleur : au lieu de l’enfoncer dans la haine du monde, sa révolte contre la douleur n’est plus que le désir ardent de la santé, l’amour exaspéré de la vie.
V. Madame Chanteau exècre Pauline de tout l’argent qu’elle lui doit, les grosses sommes englouties, les petites sommes prises chaque jour et agrandissant le trou. Elle fait à Louise la cour pour son fils, par des confidences d’entremetteuse honnête. Pauline guérie, Lazare est retombé dans l’ennui de son existence vide, un ennui qui le laisse les mains ballantes, changeant de siège, se promenant avec des regards désespérés aux quatre murs, s’oubliant devant la fenêtre sans rien voir. L’oisiveté l’aigrit, moins fort, moins courageux à chaque heure, toujours en quête d’un bonheur qui avorte. Pauline le surprend tenant Louise acculée contre une armoire, lui mangeant de baisers le menton et le cou. Dans un de ces accès de révolte furieuse dont la tempête éclate dans la douceur gaie de sa nature, un souffle jaloux si rude qu’elle n’aurait pu s’arrêter sans se briser elle-même, elle chasse Louise.
VI. Une semaine s’est passée, chacun s’est efforcé de reprendre son air de tous les jours. Mais à certains gestes nerveux, même à un silence, tous sentent le déchirement intérieur, la blessure dont ils ne parlent pas, et qui va en s’agrandissant. Madame Chanteau de tous temps s’était dévorée elle-même, mais le sourd travail qui émiettait en elle les bons sentiments est arrivé à la période extrême de destruction. Jamais elle n’avait été ravagée d’une telle fièvre nerveuse. Une idée fixe achevait la destruction de son cerveau, celui de l’être mangé peu à peu par une passion unique. Ses jambes devenues monstrueuses, ces paquets inertes de chair blafarde font s’étrangler Lazare d’angoisse, d’une stupeur sans cesse renaissante, du vague pénible d’un cauchemar où ne surnage que l’attente anxieuse d’un grand malheur. Elle dut se voir mourir, elle rouvrit des yeux intelligents, dilatés par l’horreur, elle devint noire, elle était morte.
VII. Encore si Lazare avait eu la foi en l’autre monde, ce mensonge charitable des religions dont la pitié cache aux faibles la vérité terrible ! Cependant, chez Pauline, le souvenir de l’injure s’est adouci. Mais toute son angoisse était dans ce doute : pensait-il encore à Louise ? Quand elle rêvait de renoncer à Lazare plutôt que de le rendre malheureux, son être succombait de douleur, elle comptait bien avoir ce courage, mais espérait en mourir ensuite. Lui attend la mort comme une délivrance, en des rechutes affreuses l’emplissant de désespoir. La pitié tendre de sa cousine achève de l’accabler, elle qui voulait vaincre, dans l’orgueil de son abnégation, tâchant de lui donner son courage en lui faisant aimer la vie. Quand le chien meurt à son tour, c’est une douleur disproportionnée, une désespérance où sa vie entière sombrait. Quelque chose s’en allait de nouveau, il achevait de perdre sa mère. Les mois de douleur cachée renaissaient, ses nuits troublées de cauchemars, ses promenades au cimetière, son épouvante devant le jamais plus.
VIII. L’ennui est au fond des tristesses de Lazare, un ennui lourd, continu, qui sort de tout comme l’eau trouble d’une source empoisonnée. Les jours qui se succèdent avec une régularité monotone l’exaspèrent davantage, mais sont le bonheur aux yeux de Pauline. Il se remet à désirer Louise, qui sommeillait dans sa douleur. Pauline se sacrifie : elle doit les marier. C’est le degré suprême dans l’amour des autres : disparaître, donner tout sans croire qu’on donne assez.
IX. Après l’installation à Paris des jeunes mariés, les jours se remettent à couler dans la maison de Bonneville. La gaieté de Pauline s’est faite tranquille, cette gaieté vaillante qu’elle a gardée au milieu de ses tourments. Des mois se passent. Un matin de juillet, Lazare, sans explication, annonce son arrivée, pendant que Louise, enceinte, se repose à Clermont chez sa belle-sœur. C’est un Lazare vieilli, l’œil éteint, la bouche amère, qui écarte les interrogations trop directes. Son air de honte et de peur dissimule son angoisse de la mort dont il cachait le frisson jadis, ainsi qu’un vice secret. L’approche de la quarantaine l’entretient dans une mélancolie noire, et il avait donné son mal à Louise, comme il arrive que deux amants soient emportés par la même fièvre. Les voilà dégoûtés de la joie d’aimer. Chez Pauline, la certitude se fit, foudroyante : c’est elle qui aurait dû épouser Lazare. Louise, trop nerveuse pour l’équilibrer, près de s’affoler elle-même au moindre souffle, n’était pas la femme qu’il fallait à son cousin.
X. Louise, arrivée à Bonneville, se plaint de contractions intérieures, une sensation d’étau qui lui aurait serré le ventre, dans un écrasement de plus en plus étroit. à toute minute ses mains glissent le long de ses flancs, allant empoigner et soutenir ses fesses, comme pour alléger le poids qui les écrasent. Ce ne sont plus des contractions involontaires qui lui arrachent les entrailles, mais des efforts atroces de tout son être, des efforts qu’elle ne peut retenir, qu’elle exagère elle-même, par un besoin irrésistible de se délivrer. L’enfant se présente par l’épaule gauche, c’est un garçon qui pourra se vanter de n’être pas venu au monde gaiement. Le docteur le croit mort. Pauline lui donne son souffle, dans un besoin grandissant de vaincre, de faire de la vie. Ils n’ont plus à eux deux qu’une haleine, dans un miracle de résurrection, une haleine lente, prolongée, allant de l’un à l’autre comme une âme commune. Dans l’oubli d’elle même, elle achève de lui donner les premiers soins, pleurant des larmes où se mêlent le regret de sa maternité et sa pitié pour la misère de tous les vivants.
XI. C’est Pauline qui s’occupe du petit Paul, pendant que Louise et Lazare vivent dans de continuelles tracasseries, des mauvaises humeurs sans cesse renaissantes, la vie misérablement gâtée de deux êtres qui ne s’entendaient pas. Poussée par une charité active qui fait du bonheur des autres son existence à elle, Pauline ne peut supporter la pensée qu’ils se rendent malheureux. Elle voit nettement se dérouler des jours semblables, sans cesse la même querelle entre eux, qu’elle doit calmer Mais elle n’est plus elle-même certaine d’être guérie, de ne pas céder encore à des violences jalouses. La bonne Véronique vient de se pendre à un poirier.
Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola