CONTEXTE HISTORIQUE

« Dans le Var, un seul meurtre fut commis par les insurgés à Cuers, dans une insurrection partielle. Mais la grande levée démocratique du département, la colonne qui, partie du Luc et de La Garde-Freinet, alla mourir dans la plaine d’Uchâne, traversa les bourgs et les villes, sans laisser derrière elle une goutte de sang. Ils étaient trois mille et ils ne commirent même pas un acte de maraude. Et quand on les eut sabrés, quand on eut fusillé de sang froid une douzaine d’entre eux, on leur jeta à la face l’injure d’assassins. C’est une funeste plaisanterie, n’est-ce pas ? Vous savez bien quels furent les assassins. Si la victime de Cuers demandait du sang, cette victime qui n’avait pas même été frappée par ceux que vous avez égorgés, vous en avez versé une mare assez grande pour que tous les bourreaux de France soient jaloux de vous. »

La Tribune, 29 août 1869.

SOURCES

La ville de Lorgues était alors l’une des villes les moins démocratiques du Var. Admirablement située dans une plaine fertile, entourée de forêts de pins aux vertes profondeurs, livrée aux moines, aux capucins, aux congrégations, isolée des autres villages la plupart fort éloignés, cette cité goûtait l’inaltérable douceur d’un calme égoïste et prudent. L’avènement de la République troubla d’abord cette quiétude monacale !
L’effroi des légitimistes fut de courte durée. La nouvelle du coup d’État, en apaisant leurs angoisses, permit à leur enthousiasme de s’épancher sans frein dans les douceurs d’un Jubilé.
Le temps s’écoulait d’ailleurs à Lorgues d’une façon primitive. Bien des familles nobles qui y existaient à cette époque vivaient dans leurs habitations rurales, et entretenaient avec les travailleurs du sol des relations d’estime traditionnelle et d’affectueuses habitudes, trop rares de nos jours. […]
À l’époque de l’insurrection, la confiance et la sécurité y étaient telles que l’on y considérait l’insurrection de Luc et des villages environnants, comme de pures agitations locales, dont la répression devait être laissée aux soins vigilants de l’autorité.
On peut deviner alors facilement, quelle émotion profonde se manifesta au sein de cette population, lorsque des cris d’alarme lui apprirent tout à coup que les insurgés commençaient à paraître en armes dans la plaine. Aussitôt, le tocsin sonna et le tambour battit la générale. En proie à une épouvante indicible, les femmes, qui se promenaient paisiblement par une belle après-dinée de décembre sur le Cours, inondé de soleil et de lumière, se dispersèrent de tous les côtés ! Les plus résolus d’entre les légitimistes se dirigèrent vers la mairie où se trouvaient déposés les fusils de la garde nationale. […] M. le maire divisa sa troupe en deux colonnes. La première se rangea devant la façade de l’hôtel de ville ; l’autre courut à l’entrée de Lorgues, à la rencontre des républicains signalés sur le chemin du Plan. Mais, en apercevant dans le lointain les masses insurgées, M. le maire et ses compagnons comprirent l’inutilité d’une lutte trop disproportionnée et se replièrent sur l’Hôtel de ville, pour rejoindre les volontaires laissés sur ce point. […]
Un des chefs de la colonne du Muy se mit en marche sur Lorgues, y pénétra avec ses bandes, tambour battant, et vint se ranger en bataille en face de la mairie, sans y rencontrer aucune résistance. Après avoir déserté la place, fermé l’Hôtel de ville, les volontaires lorguiens s’étaient réfugiés en armes sur le balcon de l’Hôtel de ville. Le maire, ceint de son écharpe, paradait au milieu d’eux. […]
Le gros des insurgés s’ébranla et entra dans Lorgues. […] Les bandes défilèrent sur le Cours avec une précision toute militaire. À leur tête, la déesse Raison, la belle Mme Ferrier, s’avançait le drapeau rouge en main, le bonnet phrygien sur la tête, le manteau bleu sur les épaules. À côté d’elle se trouvaient plusieurs femmes, parmi lesquelles Césarine Icard, plus tard condamnée à dix ans de déportation. Les républicains étaient, en grande majorité, armés de fusils de chasse. Plusieurs portaient des faux, des pelles et des fourches. Quelques-uns de ces durs bucherons de la forêt des Maures étaient munis de haches et précédaient les bandes en qualité de sapeurs. Les divers contingents, réunis par communes, avaient formé des bataillons, commandés par des chefs vêtus de paletots ou de burnous. Les prisonniers étaient conduits à l’arrière de la colonne.
Cette masse roulant, sans proférer cris ni menaces, se disposa en carrés devant l’Hôtel de ville. […] Des vivres lui furent distribuées. Aucune scène de violence n’aurait signalé le passage de la colonne à Lorgues sans la malencontreuse attitude des volontaires restés en armes sur le balcon de la maison commune. La foule, considérant comme une provocation la présence de ces volontaires, demanda à grands cris leur désarmement. […] La foule se précipita sur l’Hôtel de ville, enfonça les portes, et fit irruption au premier étage. On arrêta les derniers réactionnaires demeurés à leur poste, car la plupart des défenseurs de la mairie s’étaient prudemment dérobés avant l’entrée des républicains.
À la mairie, Ferdinand Giraud arbora le drapeau rouge, aux acclamations de la foule. En voyant flotter dans le ciel ce drapeau, symbole pour eux du triomphe de la République, quelques insurgés tirèrent des coups de fusil en signe de joie. […] La nuit tombait. Les tambours battirent le rappel. […] La colonne se mit en marche sur Salernes. Elle traînait avec elle environ soixante-dix otages, escortés par une haie d’insurgés.
Noël Blache, Histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851.

À quelques cent pas de la colonne s’éloignant de Lorgues, quatre malheureux insurgés prisonniers s’avancent d’un pas lourd, tiraillés par la corde qui les tient enchaînés deux à deux, l’œil terne et les traits décomposés par l’épouvante de l’heure suprême. Un détachement, commandé par un gendarme à pied, les escorte. Ce gendarme porte un fusil de chasse en bandoulière, son œil droit est caché par un bandeau noir. Au milieu d’outrages et d’insultes sans nombre, son œil a été arraché à l’aide d’un clou, au moment où il était fait prisonnier par les insurgés.
Il a cru reconnaître les auteurs de ces attentats. Ce sont ces malheureux qui marchent enchaînés sous sa garde. La justice militaire les lui abandonne ; ils vont être fusillés. […]
Après avoir dépassé les murs du cimetière, les quatre condamnés, toujours enchaînés, sont séparés de la foule, et disparaissent bientôt derrière un massif d’oliviers touffus.
Au même instant un coup de feu retentit.
Puis un second.
Puis un troisième.
Sept coups de feu retentissent ainsi.
La foule se précipite.
À quelques pas du chemin, dans une mare de sang, gisent la face contre terre, quatre cadavres, toujours enchaînés après la mort comme pendant l’agonie !!! […]
Les noms de ces infortunés défenseurs de la République doivent être pieusement conservés… C’étaient Justin Cayol, de Vidauban ; Coulet, des Arcs ; Imbert et Aragon, du Muy…
Justin Cayrol, victime d’une méprise, avait dix-sept ans à peine… Pauvre enfant !
Noël Blache, Histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851.

La déroute d’Aups fut le coup de grâce de l’insurrection dans le Var. À partir de ce moment, la terreur courba ce département sous un joug de fer dont il ne s’est pas relevé !
Plusieurs mouvements de troupes eurent lieu encore. Le 12, le colonel Trauers, accompagné du préfet Pastoureau, occupa militairement la Garde-Freinet. Déjà le 9, le sous-préfet de Toulon et le procureur de la République, à la tête de deux compagnies, avaient marché sur Collobrières. De son côté, le colonel de Parron commandant la place d’Antibes, envoyait cent cinquante hommes à Grasse, et cinquantes à Saint-Laurens du Var, pour tenir en respect les villages voisins de la frontière piémontaise.
Noël Blache, Histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851.

RÉCLAME PRÉPARÉE PAR ZOLA

M. Émile Zola vient de publier, chez l’éditeur Lacroix, un nouveau roman : La Fortune des Rougon, que nous croyons appelé à un grand succès. L’auteur a le projet d’étudier tout le second empire, dans une série d’épisodes dramatiques, dont l’œuvre nouvelle ouvre la publication. Il a naturellement commencé par raconter le coup d’État, et il a choisi pour cela la sanglante insurrection du Var, si pleine de faits terribles. Dans ce cadre, il montre une famille de bandits qui cherchent à assassiner la République et qui fondent leur fortune dans le sang des républicains. Cette famille, dont les membres sont la sinistre personnification des aventuriers de décembre, se répandra plus tard dans tous les rangs de la société et lui permettra de faire ainsi l’histoire complète du règne. L’œuvre de début, le premier épisode, La Fortune des Rougon, est un coup de maître, une satire politique, d’une note nouvelle et très saisissante. En ces jours d’intrigues bonapartistes, elle est une véritable actualité. On connaît le talent littéraire de M. Émile Zola, qui n’a pas encore produit une œuvre aussi mûre et aussi complète.

Documents préparatoires de La Fortune des Rougon, NAF 10303 f° 85.

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