Première partie
« Poser les personnages dans des scènes différentes.
Désirée et sa basse cour. – Serge et son église, à laquelle le presbytère communique. – Expliquer surtout Serge, son côté d’eunuque, son ignorance, sa bonté, et l’expliquer sans doute à l’aide de l’oncle de Blanche [Albine] et d’Archangias. Montrer la femme bedeau.
J’aimerais une grande et large scène où tout serait en action.
Je crois devoir commencer par une large scène pastorale. Le matin, l’aube. Le village s’éveille et va au travail. Serge se lève, voit partir les paysans de sa fenêtre. Cependant Manon [La Teuse], la servante, sonne la messe. Il descend. Ferveur, figure originale de la servante.
La première partie en plein été, vers août. Voici l’ordre du commencement. Le village va au travail. Serge se lève. Manon sonne et sert la messe. Curieuse messe de village, avec détails. Je puis faire apparaître Désirée, avec une portée de lapins dans son tablier. Puis Manon parle de l’ancien curé, et dit à Serge les gens qui sont venus et qu’il doit aller voir. – Alors la tournée de Serge me servant à raconter son histoire au séminaire ; il peut aller dans trois maisons : chez une grande fille qui est grosse et qui reste confuse devant le curé ; chez le père du garçon, celui-là travaille aux champs, et Serge va le chercher à une demi lieue, effet de la nature sur lui ; enfin chez une malheureuse qui crève la faim. Il va aussi à l’école du frère Archangias. Pour le frère, le village, l’école, etc. Donc raconter là ce qu’on a fait de Serge en partie. Il va rentrer, lorsqu’il rencontre le médecin qui va chez l’oncle de Blanche, ce médecin est un jeune homme comme lui, suffisamment savant, ordinaire, ayant fait ses études à Paris, mais bon garçon et ne se moquant pas de Serge. Celui-ci monte dans son cabriolet et va avec lui chez l’oncle de Blanche, qui a été dit-on frappé d’une attaque d’apoplexie. Mais il trouve le bonhomme debout. Il s’est saigné lui-même. Il est très goguenard. Le médecin et l’athée achèvent de me donner mon Serge au complet. (On entend Blanche).
Donc, d’abord ouverture du sujet par la messe, puis récit de la vie de Serge par la promenade, et exposition du pays, du parc, de l’oncle de Blanche, etc., avec la nature du paysage, etc.
Pour nouer le drame, j’ai besoin de mettre Blanche en face de Serge. Elle vient l’après-midi, étrange, avec une paire de pintades pour le curé. Il a été bon pour son oncle, elle vient le remercier. Serge pas homme devant elle. Je les mène tous trois à la basse-cour de Désirée. La peinture grasse, le grand morceau. Un peu de trouble de la part de Serge, très peu, à peine indiqué. Puis Blanche s’en va. Dîner le soir avec le frère Archangias. Achever le type. Remettre la Manon, en la dessinant davantage. – Puis Serge va se coucher. Côté philosophique et physiologique de cette journée. Son journal de séminariste, sa confession, ce qu’il écrit, ce qu’il a écrit, achevant de raconter sa vie. Il est calme, rien ne l’a éveillé. Il s’endort avec un malaise ; la fièvre qui commence. – Le village terminant le chapitre.
Tout cela doit prendre du prix par la largeur de l’exécution.
Le médecin sera Pascal Rougon, de La Fortune des Rougon. Cela me donnera un type tout fait et reliera le roman aux autres, sinon par le côté historique, du moins par le côté physiologique.
Je mettrai donc mon village à trois lieues de Plassans.
Deuxième partie
Je transporterai brusquement le roman dans le pavillon habité par Blanche. C’est Pascal, le médecin, qui aura demandé le transport, par une expérience de docteur, pour mettre Blanche, la femme, à côté de Serge, l’eunuque par éducation. À la réalité, d’après la tentative de Pascal, c’est Blanche qui sauve Serge. Là, une étude de l’influence de la femme sur le malade. Cela me donnera le commencement du chapitre.
Je crois que je ferai bien, pendant toute cette seconde partie, de ne pas montrer Pascal ni l’oncle. Les explications son inutiles. Il faut qu’elles sortent du sujet lui-même. Ainsi, il est entendu que c’est Pascal qui amène Serge chez Blanche. Quant à l’oncle, je le ferai obéir au docteur, pour lequel il aura une reconnaissance quelconque. Puis, d’ailleurs, ce sera un grand insouciant.
Donc, la maladie d’abord, puis la convalescence et le grand jardin. Tout ce morceau demande à être étudié à part. Il faut une gradation savante, et un cadre qui embrasse toutes les sensations du réveil d’un homme, en face de la nature, au bras d’une femme.
Je termine en montrant la figure noire de frère Archangias. – D’ailleurs, pas un mot du village. Il faut trouver le rôle de la sœur. Pascal lui persuade que son frère fait un voyage, elle ne vient pas au pavillon. Serge peut en demander une fois des nouvelles. – Pendant la maladie de Serge, c’est un prêtre d’un village voisin, à quatre lieues, qui vient dire la messe le dimanche.
La vie d’Albine dans le Paradou, de 9 à 16 ans. […]
Troisième partie
Le drame.
D’abord l’emportement passionné de Blanche. Elle veut Eusèbe [Serge] qui lui a révélé la vie. Elle vient le chercher dans l’église. Là une scène.
Par exemple, le matin, Serge marie la fille grosse dont il a été question au premier chapitre. Mariage pauvre au village, pas le mariage de Madame Bovary, le mariage des travailleurs qui vont piocher la terre tout de suite après. J’ouvre brusquement le chapitre par cette scène, comme j’ai ouvert le premier par une messe. Serge, pâle, macéré. Ses sensations en mariant cette fille. Pendant la cérémonie, je fais passer Blanche. Elle rôde autour du presbytère.
Puis le soir, elle entre. Serge est à table. Troublé, il l’emmène dans l’église, par le corridor qui la relie à l’église. Le crépuscule tombe. Là, grande scène, lutte de la nature contre le catholicisme. Serge est fort, parce qu’il se croit chez Dieu. Il résiste, montre la croix. Blanche, qui se sent glacée, veut retourner au paradis terrestre. Là, je ferai intervenir Désirée, qui entrera comme Blanche se jettera au cou de Serge. Elle rira, elle parlera de ses animaux. Ils la renverront. Puis Blanche supplie Serge de venir encore une fois dans le jardin ; elle a trouvé le trou par lequel Archangias est rentré ; elle le lui indique. Il promet d’y aller. Et comme elle sort, elle voit une masse noire qui file le long de l’église (c’est Archangias qui a entendu).
Une bataille entre Archangias et le philosophe.
Le lendemain, lorsque Serge veut aller au jardin, il trouve Archangias qui a bouché le trou avec des pierres et qui s’est assis à l’entrée. Conversation entre les deux hommes. La rudesse ignorante du frère ignorantin, son dédain de la nature, de la femme, etc. C’est le paradis fermé.
Là, tout un morceau d’analyse. Les luttes de Serge repris par son éducation. Son manque de virilité. Il voudrait jeter la robe aux orties, mais il ne peut pas. Un projet d’enlèvement peut-être. Les notes du séminaire reviennent. Il faut de nouveau faire passer Pascal. C’est lui qui conseille à Serge d’aller voir Blanche ; elle l’a sauvée, elle est en danger, il faut qu’il y aille. Là, l’oncle reparaît. Alors, autre grande scène, il la trouve dans la chambre aux livres. Elle a lu, elle sait, elle est horriblement triste. Le paradis à côté, derrière les volets. La contre partie de la scène de l’église. Tout cela à créer. Le suicide est au bout.
Je voudrais bien que le suicide de Blanche fût causé en partie par Archangias. Le jour où elle veut se tuer, il peut être à l’entrée du trou, dans un lieu où il se plaît. Il est toujours là à garder le trou, lisant son catéchisme, son bréviaire. Alors elle le fait entrer. Peut-être pourrais-je mettre là un vague espoir de Blanche d’emmener Serge ; elle aura rêvé une fuite, comme guérison suprême ; il pourra même y avoir un commencement d’exécution d’un plan quelconque. Et ce sera Archangias qui lui enlèvera ce dernier espoir.
Alors, elle se tue. Trouver un suicide pas trop bête. Un empoisonnement par les fleurs serait bien peut-être. Elle ferait d’énormes bouquets dans le paradis terrestre, elle remplirait sa chambre. Cela me permettrait de la promener une dernière fois dans le jardin ; et d’avoir une description de mort originale.
Au matin, quand on entend des soupirs étouffés, l’oncle envoie chercher le docteur ; Serge se trouve prévenu et accourt de son côté, avec l’extrême onction (peut-être). Dernières paroles de Blanche à Serge. Pascal et ce qu’il dit. L’oncle.
Enfin l’enterrement de Blanche par Serge. Toute la conclusion catholique. À l’église et au cimetière. Lorsqu’on descend le corps dans la terre, Archangias voit Serge qui défaille et veut mourir (disperser le cimetière pour pouvoir faire une chute, un rocher qui surplombe, ou autre chose). Archangias le force à vivre. C’est la morale catholique.
Alors Serge revient. Le village. Quand il rentre au presbytère, Désirée accourt avec des rires. La vache vient enfin d’accoucher. Elle a un veau. Je termine par un rappel de la vie pullulante de la basse cour, – et par le veau. »
Documents préparatoires de La Faute de l’abbé Mouret, NAF 10271 f°220-230.

Plan du Paradou. Documents préparatoires de La Faute de l’abbé Mouret, NAF 10294 f°44