« Bazeilles.
On descend pour entrer dans Bazeilles. Tout de suite, à gauche, il y a la villa Beurmann, une maison bourgeoise que la route de la Moncelle sépare du parc de Montvillers. Grille, pelouse, château au fond. Ensuite, la rue du village descend, la route de Douzy descend et tourne à gauche pour aller .passer devant le château de Bazeilles. À l’angle, une maison encore effondrée, pittoresque. C’est à cet angle que se détache la route qui va à la station du chemin de fer. Là se trouve la place où était l’église, qui a été brûlée. Une autre rue descend, parallèle à la route, en passant devant. Le cimetière, et les jardins des maisons vont jusqu’aux prairies : l’inondation s’arrêtait là, mais les Allemands ne se risquaient pas à découvert, et il est peu croyable qu’ils s’y soient risqués. La place de l’église, comme cette rue, n’était séparée des prairies, au bout desquelles sont le pont et la ligne, que par une rangée de maisons, et c’est là que la bataille s’est d’abord engagée. La position était très belle pour les Français, établis dans le village. Les Bavarois, qui avaient le pont, ne se risquant pas dans les prés, ont suivi la ligne du chemin de fer pour tourner la position par le château et surtout par le parc Montvillers. C’est ce qui explique que Bazeilles a été pris, lorsque les Bavarois, en tournant, ont réussi à s’emparer de ce parc, puis de la villa Beurmann. Il faut dire que les batteries de Wadelincourt les soutenaient très efficacement. Les batteries entre Remilly et Pont-Maugis sur les hauteurs. Il y a eu dans Bazeilles un combat corps à corps, maison par maison, dans les jardins et dans les ruelles.
Depuis la veille, les Allemands avançaient pour prendre position sur toutes les hauteurs de la rive gauche, depuis Remilly jusqu’à Frénois. Les batteries établies là ont fait un ravage épouvantable et ont décidé du sort de la journée, en balayant les Français. Elles protégeaient les mouvements des Bavarois.
La femme d’un maçon qui s’est fait tuer, en se défendant à Bazeilles. Une trentaine d’habitants fusillés. Tout le village, d’ailleurs, avait filé à Bouillon.
Les Bavarois ont donc tourné les Français dans Bazeilles, par le parc du château de Montvillers. Au château de Bazeilles, une ambulance. Les Allemands opérés dans le château, mais les Français opérés dans le parc, par terre sur de la paille. Trois chariots de morts, entassés, comme des bottes de foin ; des bras et des jambes qui pendaient, écorchés par les roues. La bataille a eu lieu un jeudi. Très beau temps, avec brouillard le matin. Le lendemain il a plu.
Je reviens à la route de Daigny par la Moncelle, qui prend entre le parc de Montvillers et la villa Beurmann. C’est là qu’aboutit le vallon de la Givonne, qui commence à Holy. Le village de la Moncelle se trouve dans le vallon, derrière le parc de Montvillers. Dès lors, la position des deux armées est nette : les Français sur les coteaux de gauche et les Allemands sur les coteaux de droite. Bataille d’artillerie par-dessus les villages. Avec des épisodes multiples, les villages disputés, et des combats.
Le 12e corps avait des troupes à gauche, jusqu’à Daigny. Les Saxons ont fini par traverser la Moncelle. Pendant que des corps allemands se battaient le long du vallon, d’autres filaient derrière pour le mouvement tournant par Illy. Le bois Chevalier qui se trouve derrière la Moncelle cachait ce mouvement. Les Allemands arrivaient ainsi par Villers-Cernay, Francheval, Rubécourt, par le chemin même que Ducrot avait suivi la veille. Et le mouvement d’enveloppement continuait. Une route part de la Moncelle vers Villers-Cernay. La bataille a eu lieu par-dessus la Moncelle (voir les détails dans Ducrot, etc.). Le coteau nu où était le corps de Lebrun s’appelle la Rapaille. À la Moncelle, les Saxons ont perdu beaucoup de monde, dans la fusillade, car il leur fallait descendre par des espaces découverts, et les chassepots étaient bons. Ne pas oublier pourtant que les batteries de la rive gauche gênaient beaucoup les troupes de Lebrun et de Ducrot. Dans le fond du vallon coule la Givonne, qui va se jeter dans la Meuse, à Bazeilles. Il y a là des prairies, des propriétés charmantes, dans les arbres, des filatures avec la maison du maître.
J’ai oublié l’endroit où Mac-Mahon a été blessé. C’est dans le chemin creux de la Moncelle, celui qui part de Balan, un peu après le sommet, à l’endroit où la pente redescend vers la Moncelle. Il y a là, à droite de la route, une croix de pierre dans les terres labourées.
Je reviens au vallon. On arrive à Daigny. Très boisé. Les Français toujours à gauche. La route traverse la Givonne sur un pont, un chemin monte à Villers-Cernay. Un moulin à écorce. La route suit toujours le fond, mais sur la rive gauche de la Givonne. Le château de Daigny. Mais j’ai pris un chemin qui monte sur les coteaux de gauche (position des Français), pour mieux voir le fond. La vallée continue entre Daigny et Givonne. Dans le chemin où je suis, il y a un creux où les Français ont été décimés par une batterie allemande, établie à la pointe d’un petit bois, au-dessus de Haybes. C’est sur la route de Sedan à Givonne. Une batterie française a été culbutée là, tous les chevaux morts.
Enfin, à Givonne. Dans un trou. Le combat se faisait toujours par dessus, c’est pourquoi ces villages ont relativement peu souffert. Le mouvement de jonction continuait dans la vallée, derrière Givonne. Dans Givonne, la route descend. Un pont. Une belle mairie. Après Givonne, la position des Français excellente, les coteaux très escarpés, couronnés de bois. Le corps de Ducrot, après celui de Lebrun, s’étendait de Daigny au bois de la Garenne, plus haut que Givonne. »
Documents préparatoires de La Débâcle, NAF 10287, f° 49-56.



