I. Au retour du Bois de Boulogne, l’embarras de voitures devient tel qu’il faut s’arrêter. Renée, appuyée sur la portière basse de la calèche, regarde, éveillée du rêve triste qui depuis une heure la tient silencieuse. « Vois-tu, je m’ennuie », dit-elle à Maxime. Elle règne aux Tuileries, chez les ministres, chez les simples millionnaires, mais son besoin de curiosité est inassouvi, elle veut autre chose, quelque chose qui n’arrive à personne, une jouissance rare, inconnue.
Aristide Saccard, un veuf qui s’est vendu pour l’épouser, pérore devant un groupe d’hommes graves : la transformation de Paris sera la gloire du règne, bouleverser la ville sera la fertiliser. Presque tous les convives du dîner sont arrivés, à l’entrée de Renée il y a un murmure d’admiration. On boit et on mange beaucoup, les convives s’oublient un instant, en face des débris du dessert, béats, sans courage pour se lever, le regard vide de cette ivresse mesurée et décente des gens du monde qui se grisent à petits coups.
Dans la serre chaude, pareille à une nef d’église aux minces colonnettes de fer, s’étalent des végétations grasses, des nappes de feuilles puissantes, des fusées épanouies de verdure. Les larges fleurs pourpres ouvrent leurs bouches sensuelles de femme, des lèvres rouges, molles et humides, toujours renaissantes avec leur sourire avide et saignant. Devant le grand sphinx de marbre noir, idole sombre aux cuisses luisantes de cette terre de feu, un désir enfin formulé galvanise le cœur mort de Renée, prise dans les noces puissantes de la terre, brisée par un parfum indéfinissable, fort, excitant, pâmée par la chaleur.

II. Aristide s’est abattu sur Paris au lendemain du 2 Décembre, avec ce flair des oiseaux de proie qui sentent de loin les champs de bataille, décidé à franchir tous les fossés, quitte à se casser les reins ou à rouler dans la boue. Son instinct de bête affamée saisit merveilleusement les moindres indices de la curée chaude dont la ville va être le théâtre. Pendant deux ans, il rôde dans tous les couloirs, cherchant dans les coins, assistant à la rage croissante qu’il a prévue, secoué d’impatience et de colère par la forge géante et les marteaux battant l’or sur l’enclume.
Pour deux cent mille francs, il épouse une jeune fille qui a eu un malheur. Un marché d’or : une dot superbe, une femme belle à le faire décorer en six mois, et pas la moindre charge.
Son plan est simple et pratique : Il sait ce qu’on peut voler dans l’achat d’immeubles et de terrains, il sait comment, en faisant passer un boulevard sur le ventre d’un vieux quartier, on jongle avec les maisons à six étages. Et, à cette heure encore trouble où le chancre de la spéculation n’en est qu’à la période d’incubation, il en devine long sur l’avenir de moellons et de plâtre qui est réservé à Paris. Pendant qu’il se lance, Renée, grisée, folle, emplit Paris du bruit de ses équipages, de l’éclat de ses diamants, du vertige d’une vie adorable et tapageuse.

III. Saccard a fait venir Maxime à Paris : un fils le posera, l’installera définitivement dans son rôle de veuf remarié, riche et sérieux. Renée ne néglige rien pour parfaire l’éducation de cet enfant mou et léger, efféminé dans tout son être, d’une ruse vicieuse. À dix-sept ans, cet étrange avorton soutiendrait une thèse brillante sur le Tout-Paris mondain, clientèle et fournisseurs compris.
Saccard a enfin trouvé son milieu et s’est révélé grand brasseur de millions, hardi dans la lutte qui commence à semer Paris d’épaves honteuses et de triomphes fulgurants. Nageur plus hardi chaque jour, plongeant, reparaissant tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, traversant cette immensité par les temps clairs et par les orages, il compte sur ses forces et son adresse pour ne jamais aller au fond. Un fleuve d’or, sans sources connues, paraît sortir à flots pressés de son cabinet.
Renée est apparue dans le ciel parisien comme la fée excentrique des voluptés mondaines. Jetée dans le monde du second Empire, abandonnée à ses imaginations, entretenue d’argent, encouragée dans ses excentricités les plus tapageuses, elle tue son honnêteté expirante, toujours poussée en avant par un insatiable besoin de savoir et de sentir. Avec Maxime, elle rentre peu à peu dans un état de béatitude particulier, bercés par toutes les idées charnelles qu’ils remuent, chatouillés par de petits désirs qu’ils ne formulent pas.

IV. Le désir net et troublant qui est monté au cœur de Renée dans les parfums de la serre paraît s’être effacé. Elle s’est jetée plus follement dans sa vie de visites et de bals, avec un mépris plus marqué pour elle-même, une dépravation plus risquée dans ses caprices de grande mondaine. Mais un soir, elle veut que Maxime la fasse goûter au fruit défendu d’un dîner dans un cabinet particulier. La gêne qu’elle y ressent est délicieuse. Ils ont des yeux qu’ils ne se connaissent pas, un long sourire contraint et un peu honteux. Et tout est dit. « Cela devait arriver un jour ou l’autre. »
Saccard vit sur la dette, sur un terrain miné, dans une crise continuelle, soldant des notes de cinquante mille francs et ne payant pas les gages de son cocher, marchant toujours avec un aplomb de plus en plus royal, vidant avec plus de rage sur Paris sa caisse vide, d’où le fleuve d’or aux sources légendaires continue à sortir. D’aventure en aventure, il n’a plus que la façade dorée d’un capital absent.
C’est entre Maxime et Renée une longue perversion de tous les instants. Il a roulé à l’inceste, il y reste parce qu’il y fait chaud et qu’il s’oublie au fond de tous les trous où il tombe. Mais Renée apporte dans la faute toutes ses ardeurs de cœur déclassé, elle veut le mal que personne ne commet, le mal qui va emplir son existence, et la mettre enfin dans cet enfer dont elle a toujours peur, en femme qui se noie dans son propre mépris.

V. Renée court le monde, y mène Maxime à sa suite comme un page blond en habit noir, y goûtant des plaisirs plus vifs. La saison est pour elle un long triomphe, l’inceste met en elle une flamme qui luit au fond de ses yeux et chauffe ses rires.
Saccard songe à se rapprocher de sa femme. Son plan est net est brutal : elle vit dans des besoins d’argent grandissants, à sa première demande, il renouera des rapports depuis longtemps rompus, dans la joie de quelque grosse dette payée.
Renée, qui se plaisait aux raffinements de sa faute, roule à la débauche vulgaire, au partage de deux hommes. Elle sort effarée, meurtrie, de ce voyage dans l’inconnu du mal, de ces ténèbres ardentes où elle confond son double amant avec des terreurs qui donnent un râle à ses joies. Vainement, dans sa tête où monte la folie, elle tente de jouir de l’infamie. Au milieu de son effarement grandissant, on commence à entendre un râle, le détraquement de cette adorable et étonnante machine qui se casse.

VI. Le jeudi de la mi-carême, il y a bal travesti chez les Saccard, avec des tableaux vivants. Dans une grotte au centre de la terre, la soie imitant le roc montre des larges filons métalliques, des coulées qui sont comme les veines du vieux monde, charriant les richesses incalculables et la vie éternelle du sol. À terre, il y a un écroulement de pièces de vingt francs ; des louis étalés, des louis entassés, un pullulement de louis qui montent. Sur ce tas d’or où se vautre la richesse d’un monde, Renée, en nymphe Écho, tente Maxime, qui joue le beau Narcisse refusant d’un geste.
Dans une excentricité suprême, une fin qui dans cette crise de fièvre chaude lui semble tout à fait originale, elle veut s’enfuir avec Maxime. Elle vient de signer un acte de cession, ils auront de l’argent. Elle rit, elle l’attire à elle, le baise sur les lèvres, lorsqu’un bruit leur fait tourner la tête : Saccard est debout sur le seuil de la porte. D’abord livide, les brûlant de loin du feu de ses regards, la colère éclatant avec des bruits de coups de feu, il avise l’acte signé, le plie lentement, le met dans la poche de son habit, et disparaît dans l’escalier avec son fils.

VII. Saccard s’est sauvé de la ruine, et même un peu de la cour d’assises. Lorsque Renée meurt d’une méningite aiguë, c’est lui qui paie les dettes de Maxime.

Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola

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