I. Impasse d’Amsterdam, Roubaud attend sa femme. Le parrain de Séverine, Grandmorin, lui avait donné sa protection : dès le lendemain du mariage, il était passé sous-chef à la gare du Havre. Il leur laissera peut-être sa maison de la Croix-de-Maufras, une propriété que le chemin de fer a coupé. À son retour, échauffée par un verre de vin blanc, Séverine lâche un phrase, dans un oubli de tout : c’est Grandmorin, et non sa mère, qui lui a offert une bague, un serpent d’or à tête de rubis pour ses seize ans. Roubaud comprend l’évidence, la jette en travers du lit, tape sur elle de ses deux poings, au hasard. Cette débauche entrevue pourrit tout, enfonce et retourne au fond de sa chair les lames empoisonnées de sa jalousie. Sa douleur, c’est l’irréparable, son impuissance à faire que cela ne fut pas. « Il faut que je le crève, que je le crève ! ».
II. Dans la maison du garde-barrière en face de la Croix-de-Maufras, Jacques Lantier, mécanicien sur la ligne Paris – Le Havre, est venu voir tante Phasie. Sa machine, la Lison, est en réparation pour vingt-quatre heures, alors il a voulu l’embrasser. Il manque tuer Flore : dans son être, c’est parfois de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappe, un besoin perverti de jeter une femme morte sur son dos. Alors il lui faut fuir, pour fuir l’autre, la bête enragée qu’il sent en lui, fuir dans le labyrinthe où tourne sa folie.
Sur la voie du chemin de fer, être géant couché en travers de la terre, passe un train, mécanique, triomphal, allant à l’avenir avec une rectitude mathématique. Et Jacques, très distinctement, aperçoit un homme qui en tient un autre et lui plante un couteau dans la gorge.
III. À la gare du Havre Roubaud s’agite, seul, énervé, dans le tourment de l’homme menacé d’une catastrophe qui finit par souhaiter ardemment qu’elle éclate. Une dépêche annonce que le corps de Grandmorin a été découvert au kilomètre 153. L’affaire est mystérieuse. Les Roubaud disent n’avoir rien vu, Jacques se tait.
IV. L’affaire fait un bruit énorme, les journaux de l’opposition la prennent comme machine de guerre. Alors il faut connaître la vérité, pour la cacher mieux, si nécessaire. Le juge a trouvé Cabuche, un innocent qui ferait un coupable idéal. Jacques, en face de Roubaud, a la certitude brusque qu’il est l’assassin.
V. La justice doit rester indifférente aux conséquences, mais il faudrait remuer trop de boue : on désire un non-lieu. Jacques sait Séverine complice, et dès lors elle lui semble sacrée, il n’éprouve plus le désir de la mordre, de la tuer, dans son abominable faim d’égorgement : le sang d’un autre lui fait comme une cuirasse d’horreur. C’est plutôt de sa machine qu’il se défie, comme s’il doutait d’elle tout à coup.
VI. La vie s’est remise à couler, monotone, comme ces grands sommeils qui suivent les grandes catastrophes. Jacques Lantier est devenu nécessaire aux Roubaud, parce qu’il sait et n’a point parlé ; parce qu’il les délivre l’un de l’autre, de leur commune obsession. Roubaud se demande s’il était nécessaire de tuer, de faire cette chose inavouable pour être heureux, sans le devenir davantage. Séverine et Jacques se rapprochent, s’aiment, se possèdent. Lui, a trouvé la guérison de son mal : la pensée du meurtre ne le trouble plus. Est-ce donc que la possession physique contente ce besoin de mort ? Posséder, tuer, cela s’équivaut-il, dans le fond sombre de la bête humaine ?
VII. Un jour de décembre, le ciel noir crève d’une neige entêtée. La Lison galope dans un chaos de blancheurs vagues, à travers la contrée dévastée qui prend la désolation d’un océan de glace immobilisé dans la tourmente. Entre deux talus, elle s’englue, prise par toutes ses roues, de plus en plus serrée, hors d’haleine. Elle ne bouge plus, la neige la tient, impuissante.
VIII. Au lit, Séverine raconte le crime à Jacques. Il trouve cette créature frêle, si mince entre ses bras, impénétrable, sans fond, de cette profondeur noire dont elle parle. Ce qui se déroule en lui, avec une régularité mécanique, c’est le meurtre, détail à détail, le couteau entrant dans la gorge d’un choc sourd, les trois longues secousses du corps, la vie s’en allant en un flot de sang tiède. Il s’était cru guéri, et n’a jamais ressenti son désir de meurtre aussi intense. Il faut qu’il tue.
IX. Roubaud sait tout, mais ne fait rien, vivant au premier étage du café, devenu peu à peu un tripot. La passion du jeu le tient désormais tout entier, un assouvissement unique où il se contente, ne pouvant renouer ce que le meurtre avait tranché autour de lui. Séverine et Jacques ont leur liberté entière, et un dégoût pour le mari complaisant. Glacé, terrifié de n’être plus lui, de sentir la bête prête à mordre, Jacques s’assombrit, maintenant que l’affreux mal l’a repris tel un vertige. Mais s’il devait tuer, c’est Roubaud qu’il faudrait tuer. Puisqu’il en avait tué un autre, pourquoi ne l’aurait-on pas tué ? « Ah ! s’il était mort » » répétait Séverine. Mais Jacques ne peut pas : oui, tuer dans un besoin, dans un emportement de l’instinct ! Mais tuer en le voulant, par calcul et par intérêt, non, jamais !
X. Flore, chaque semaine, voit passer le train de Jacques et Séverine. Les voir ainsi aller à l’amour est au-dessus de ses forces. L’idée brusque s’est plantée en elle : les tuer, pour qu’ils ne passent plus, que tout croule. Tirer un fardier sur la voie, culbuter le train, tout casser, tout engloutir. Le train se dresse debout, sept wagons montent les uns sur les autres et retombent avec un abominable craquement, en une débâcle informe de débris. La Lison, renversée sur les reins, ventre ouvert, montre ses bielles tordues, ses cylindres cassés, toute une affreuse plaie bâillant en plein air. Mais dans ce carnage d’inconnus et d’innocents, Flore n’est arrivée à tuer ni Jacques ni Séverine. Il lui faut mourir, marcher dans le tunnel, jusqu’à rencontrer le train, marcher droit au fanal, comme un insecte de nuit qu’une flamme attire, jusqu’à l’épouvantable choc.
XI. Séverine et Jacques attirent Roubaud à la Croix-de-Maufras, pour qu’il le tue enfin et qu’ils partent en Amérique. Mais des morsures de feu, derrière les oreilles, lui trouent la tête, gagnent ses bras, ses jambes, le chassent de son propre corps, sous le galop de l’autre, la bête envahissante. Ses mains ne sont plus à lui, il fixe ses yeux fous sur Séverine, il n’a plus que le besoin de la jeter morte sur son dos, ainsi qu’une proie. Elle est broyée, emportée par la fatalité du meurtre, sans qu’elle eût compris.
XII. Jacques a pu s’enfuir dans un galop furieux. Roubaud et le carrier Cabuche sont accusés des deux meurtres, et condamnés. La vérité elle-même aurait semblé moins vraie, entachée de plus de fantaisie et d’illogisme.
Sur leur nouvelle machine, une haine pour une autre femme a grandi entre Jacques et son chauffeur. Ils se dévorent dans ces quelques pieds carrés filant à toute vitesse. s’efforcent les dents serrées de se faire tomber l’un l’autre. Jacques, sentant le vide, se cramponne si étroitement au cou de Pecqueux qu’il l’entraîne sous les roues. Ils sont coupés, hachés dans leur étreinte, dans une effroyable embrassade. Le train galope tout droit, une bête aveugle et sourde lâchée parmi la mort, roulant, roulant, chargée de soldats ivres qui chantent.
Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola
