PREMIÈRE PARTIE
I. Une nuit de mars, Étienne Lantier arrive près de la fosse du Voreux, à Montsou. Tassée au fond d’un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, elle lui semble avoir un air de mauvaise bête goulue, accroupie là pour manger le monde. Mais il y accepterait n’importe quelle besogne.
II. Au coron, corps de casernes ou d’hôpital, géométrique, parallèle, il est quatre heures du matin. Les Maheu et les autres charbonniers partent au travail, roulant des épaules, embarrassés de leurs bras qu’ils croisent sur la poitrine. Lent défilé d’ombres, vêtus de toile mince, ils grelottent de froid, sans se hâter davantage, débandés le long de la route, avec un piétinement de troupeau.
III. Embauché à la mine, Étienne, qui se croyait brave, a la gorge serrée dans le tonnerre des berlines, les coups sourds des signaux, le vol continu des câbles déroulés et enroulés à toute vapeur, les cages montant et descendant, que la gueule du trou semble boire. Le puits a avalé sa ration quotidienne de sept cents insectes humains.
IV. Dans la veine, il fait jusqu’à trente-cinq degrés. Les bruits prennent une sonorité rauque, les ténèbres semblent d’un noir inconnu, épaissies par les poussières volantes du charbon, alourdies par des gaz qui pèsent sur les yeux. Il faut compléter le plus grand nombre de berlines, dans une rage de gain qui efface les crampes et l’étouffement.
V. Une révolte soulève Étienne quand son équipe est mise à l’amende : il faut doubler les bois du boisage, même en perdant deux berlines. « Si l’on nous payait assez, nous boiserions mieux. »
VI. Étienne hésite à rester au fond de cet enfer. Il ne se sent pas la résignation du troupeau, il finirait par étrangler quelque chef. Mais il prend une chambre. Il ne sait pas s’il veut redescendre pour souffrir et se battre, ou est-ce à cause des yeux clairs de Catherine Maheu ?
DEUXIÈME PARTIE
I. Les Grégoire attendent leur fille pour le petit-déjeuner. Leur fortune date de la création des mines de Montsou, qui depuis un siècle, nourrissent la famille à ne rien faire. Des générations d’affamés extraient pour eux : l’argent que vous gagnent les autres est celui dont on engraisse le plus sûrement.
II. Chez les Maheu, le buffet est bien vide : rien, pas une croûte, pas un fond de provision, pas un os à ronger. Les Grégoire regardent cette femme et ces enfants pitoyables venus mendier, avec leur chair de cire, leurs cheveux décolorés, la dégénérescence qui les rapetisse, d’une laideur triste de meurt-de-faim. Ils donnent deux robes, des fichus, des mitaines, mais ne peuvent pas donner une pièce de cent sous.
III. Hennebeau, le directeur général de la mine, fait visiter le coron. « Mais on y vivrait, c’est charmant ! »
IV. Au retour de la fosse, on a si faim qu’on mange dans ses vêtements humides, avant même de se débarbouiller. On ne parle pas tant que le père mange. La marmaille traîne, un grouillement de petits êtres piaulant, se roulant, se battant, tandis que les pères qui ne sont pas à l’estaminet, fument leur pipe accroupis sur les talons comme au fond de la mine.
V. Vers la vieille fosse en ruine, les filles rôdent avec leurs amoureux. Autour de la machine éteinte, près du puits las de dégorger de la houille, c’est une revanche de la création, le libre amour qui, sous le coup de fouet de l’instinct, plante des enfants dans les ventres des filles, à peine femmes.
TROISIÈME PARTIE
I. Des mois s’écoulent. Étienne s’enflamme. Sa prédisposition de révolte le jette à la lutte du travail contre le capital, à l’Internationale qui vient de se créer.
II. C’est la ducasse, la fête patronale annuelle. Un flot de peuple roule sous le soleil, pareil à une traînée de fourmis perdues dans la nudité rase de la plaine. La cohue boit et s’empiffre sans un cri, dans une muette indigestion de bière et de pommes de terre frites.
III. Étienne s’est installé comme locataire chez les Maheu. Il rêve à l’égalité de tous les hommes, l’équité qui veut un partage entre eux des biens de la terre. Une armée d’hommes rétablira bientôt la justice. Son rêve s’élargit, s’embellit, d’autant plus séducteur qu’il monte plus haut dans l’impossible, et révolutionne peu à peu le coron.
IV. Une crise industrielle se profile, la Compagnie change son mode de paiement. L’exaspération croît, une exaspération de peuple calme, un murmure grondant d’orage, terrible au-dessus de cette masse lourde. Dans l’impatience de l’âge d’or promis, la hâte d’avoir sa part de bonheur au-delà d’un horizon de misère fermé comme une tombe, le principe de la grève est décidé.
V. Un éboulement se produit dans une galerie. Les mineurs descendent de toutes parts, avec leurs lampes dansantes, qui éclairent mal le galop des hommes noirs au fond de ces trous de taupe. Un mort, un blessé.
QUATRIÈME PARTIE
I. C’est ennuyeux : la grève qui vient d’éclater trouble le déjeuner offert par les Hennebeau aux Grégoire. Les années heureuses avaient gâté l’ouvrier, maintenant ça leur semble dur de revenir à leur frugalité ancienne.
II. D’abord, Maheu, tremblant devant le lendemain, retombant à la résignation de sa race, ne veut pas être le délégué des mineurs. Mais ce serait lâche, alors il dit ce qu’il sent. Des choses amassées au fond de sa poitrine, qui sortent dans un gonflement de son cœur. Leur misère à tous, le travail dur, la vie de brute, la femme et les petits criant de faim à la maison, les quinzaines mangées par les amendes et le chômage. Alors, crever pour crever, mieux vaut crever à ne rien faire. Ce sera de la fatigue en moins.
III. Après quinze jours, toutes les ressources s’épuisent, les mineurs n’ont plus d’argent pour soutenir la grève, la faim est là, menaçante. Mais une confiance absolue, une foi religieuse dans la justice et la cité idéale de leurs rêves remplace le pain et chauffe le ventre.
IV. Dans l’air enfermé d’une salle où les odeurs chaudes du dernier bal remontent du parquet, une centaine de mineurs attend un délégué de l’Internationale. Il promet la cathédrale du monde futur, une société libre où qui ne travaillerait pas ne récolterait pas, la conquête du monde avant trois ans. Une houle agite les têtes : « Nous en sommes ! »
V. L’opinion, émue d’abord, est devenue indifférente depuis que la grève s’éternise, très calme, sans drame passionnant. Il n’y a plus de crédit nulle part, plus une vieille casserole à vendre. Des deux côtés, l’obstination entasse des ruines : tandis que le travail meurt de faim, le capital se détruit.
VI. Dans le pays entier, par les routes, par les sentiers de la plaine rase, c’est depuis le crépuscule un long acheminement, un ruissellement d’ombres silencieuses, filant isolées, s’en allant par groupes vers les futaies de la forêt de Vandame.
VII. Près de trois mille charbonniers sont au rendez-vous, une foule peu à peu calmée, silencieuse. Étienne parle en chef de bande, s’échauffe peu à peu, rencontre des images d’une énergie familière qui empoignent son auditoire. C’est l’impatience d’une secte religieuse qui, lasse d’espérer le miracle attendu, se décide à le provoquer enfin.
CINQUIÈME PARTIE
I. Au puits Jean Bart, certains hésitent, puis reprennent le travail. Parmi eux, Catherine Maheu et son amant Chaval, l’ennemi intime d’Étienne Lantier.
II. Les grévistes ont coupé les câbles de descente. Il faut sortir par les échelles. C’est comme une cheminée plate, de sept cents mètres de hauteur, un boyau humide, noir et sans fin. Quand on lève les yeux, les lampes tournoient en spirale. Ceux d’en dessous poussent, l’essoufflement des haleines couvre le roulement des pas, un râle énorme, décuplé par la cloison s’élève du fond et expire au jour.
III. Des huées accueillent chaque nouveau mineur qui apparaît, les coups de poing allaient pleuvoir sur les pauvres diables, grelottants, silencieux sous les injures, heureux quand ils peuvent enfin galoper hors de la fosse.
IV. La bande de grévistes parcourt la plaine rase, en une confusion de troupeau hérissé de barres de fer. Une poche de rancune a crevé en eux, une poche empoisonnée, grossie lentement. Des années et des années de faim les torturent d’une fringale de massacre et de destruction.
V. Alors que les ouvriers assiègent son hôtel en réclamant du pain, Hennebeau vient de découvrir que sa femme le trompe avec son neveu. « Du pain ! est-ce que ça suffit, imbéciles ? est-ce que je suis heureux ? »
VI. Étienne cherche sur quelle proie légitime lancer la bande, afin d’éviter de plus grands malheurs. Mais personne ne lui obéit plus et il s’effare devant ces brutes démuselées par lui, si lentes à s’émouvoir, terribles ensuite, d’une ténacité féroce dans la colère. L’épicier qui ne fait pas crédit est tué, mais c’est une débâcle, un sauve-qui-peut éperdu au bruit du galop des gendarmes.
SIXIÈME PARTIE
I. La troupe occupe Montsou. Le travail n’a repris nulle part. C’est maintenant une obstination muette en face de ce déploiement de force dont s’exaspère l’orgueil des mineurs. Étienne s’est caché au fond d’une galerie abandonnée. Dans le pays entier, il croit entendre l’effondrement des faillites. Les administrateurs de la mine attendent patiemment leur dernier râle.
II. C’est l’agonie dernière chez les Maheu, la maison vidée est tombée au dénuement final. La petite Alzire vient de mourir de faim. « C’est de la viande qu’il vous faut pour vous guérir », dit le docteur.
III. Des belges sont arrivés pour remplacer les grévistes. Étienne ne veut pas avouer son abattement, malgré des souffles de rancune et de soupçon, ces premiers souffles de l’impopularité qui annoncent la défaite. Chaval va descendre avec les belges. Il provoque Étienne qui menace de lui ouvrir la gorge, dans une brusque folie du meurtre, un besoin de goûter au sang, un frisson de son mal héréditaire qu’il finit par vaincre.
IV. Étienne voit Jeanlin Maheu assassiner un soldat. Ça le tourmentait, la tête lui faisait du mal derrière les oreilles, tellement il en avait envie. Mais se tuer entre pauvres diables, pour les riches !
V. Soixante soldats barrent la porte du Voreux. Assiégés à coups de briques, leurs fusils partent d’eux-mêmes, trois coups d’abord, puis cinq, puis un roulement de peloton, puis un coup tout seul, longtemps après, dans le grand silence. Maheu, frappé en plein cœur, tombe la face dans une flaque d’eau noire de charbon. D’abord la stupeur. Puis une panique folle, un galop de bétail mitraillé, une fuite éperdue dans la boue.
SEPTIÈME PARTIE
I. C’est le revirement des lendemains de défaite, la terrible chute du haut de l’idéal. Tout un peuple maudit Étienne, c’est lui l’assassin, la cause unique du malheur.
II. L’anarchiste Souvarine desserre les équerres du cuvelage du puits, en s’acharnant au hasard. Il la tuerait, cette bête mauvaise à la gueule toujours ouverte, qui avait englouti tant de chair humaine.
III. Le cuvelage a cédé. La mine boit la rivière, l’inondation submerge les galeries pour des années. Étienne et Catherine sont restés au fond, avec Chaval qui avait forcé la main au porion pour compléter leur équipe.
IV. Il faut sauver les mineurs engloutis. Au troisième jour, on finit par saisir un roulement rythmé à peine distinct, la cadence du rappel des mineurs. Mais le bloc qui sépare des camarades est d’au moins cinquante mètres. Le neuvième jour, il en reste une vingtaine encore. Au douzième jour, un silence mortel se fait.
Mme Hennebeau et les Grégoire sont venus en excursion. Dans sa maison du coron, le grand-père Maheu, prostré depuis la fusillade, étrangle Cécile Grégoire.
V. Dans la mine ébranlée, éclatant de la coulée énorme qui la gorge, l’air refoulé s’amasse, se comprime, part en explosions formidables parmi les roches fendues et les terrains bouleversés. Chaval tombe, le crâne fendu. Le besoin de tuer a pris Étienne, irrésistible, un besoin physique, qui monte et éclate en dehors de sa volonté. C’est enfin sa nuit de noces avec Catherine, au fond de cette tombe, sur ce lit de boue, un besoin de ne pas mourir avant d’avoir eu leur bonheur. Ensuite, plus rien : elle est morte. Plus tard, une secousse : lorsqu’on le sort enfin, Étienne apparaît décharné, les cheveux tous blancs, un vieillard.
VI. Après deux mois et demi de grève, il a fallu se soumettre, et ce parjure imposé reste en travers de la gorge comme une poche de fiel. On sent l’unique résignation à la nécessité du ventre, dans cette armée battue, enragée sourdement du besoin de reprendre la lutte. Une armée noire, vengeresse, germant lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination fera bientôt éclater la terre.
Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola
