M. Émile Zola est arrivé aujourd’hui à Anzin, où il vient étudier le fonctionnement des mines et les mineurs, études qui doivent figurer dans son prochain roman, Germinal. Le romancier a demandé l’autorisation à la Compagnie d’Anzin de visiter les puits.
Le Matin, 29 février 1884.
« J’ai tous mes documents pour mon roman socialiste, et je vais m’enfermer aux champs dès la fin de la semaine prochaine. »
Lettre à Édouard Rod, 16 mars 1884.
« Le travail va son petit train, un travail de chien comme je n’en ai encore eu pour un roman ; et cela sans grand espoir d’être récompensé. C’est un de ces livres qu’on fait pour soi, par conscience. »
Lettre à Henry Céard, 14 juin 1884.
« Il est parfaitement vrai que mon prochain roman Germinal est l’étude d’une grève dans le cadre d’une mine de houille. Je suis en effet allé à Anzin. [… Ce roman] sera, je crois, un de mes plus longs. J’en suis assez content, mais cette question sociale est fort dure à étudier. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 9 septembre 1884.
« Ce roman m’a donné beaucoup de mal, et je crains qu’il ne soit guère compris. Le succès s’en annonce pourtant très vif. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 8 décembre 1884.
« Peut-être cessera-t-on cette fois de voir en moi un insulteur du peuple. Le vrai socialiste n’est-il pas celui qui dit la misère, les déchéances fatales du milieu, qui montre le bagne de la faim dans toute son horreur ? Les bénisseurs du peuple sont des élégiaques qu’il faut renvoyer aux rêvasseries humanitaires de 48. Si le peuple est si parfait, si divin, pourquoi vouloir améliorer sa destinée ? Non, il est en bas, dans l’ignorance et dans la boue, et c’est de là qu’on doit travailler à le tirer. »
Lettre à Georges Montorgueil, 8 mars 1885.
« Ce que j’ai étudié, ce que j’ai essayé de rendre, c’est la vie d’Anzin, cette immense machine souterraine. On peut retrouver dans mon livre la description même des galeries. J’ai passé trois semaines à Anzin, me mêlant aux mineurs, les écoutant parler, les étudiant avec tout le soin dont j’étais capable. […] Je crois avoir peint les mineurs tels qu’ils sont. […]
Je dois même dire, dût-on m’accuser d’être un socialiste, que, quand j’ai étudié la misère des travailleurs des mines, j’ai été pris d’une immense pitié. Mon livre, c’est une œuvre de pitié, pas autre chose, et si quiconque en le lisant éprouve cette sensation, je serai heureux, j’aurai atteint le but que je m’étais proposé.
En effet, quand on veut voir et comprendre, on acquiert la certitude que la Révolution de 89 n’a rien fait pour l’ouvrier : le paysan a gagné sa terre, l’ouvrier est plus malheureux que jadis, et les royalistes ont raison quand ils disent que les anciennes corporations protégeaient mieux le travailleur que le régime actuel.
Il y a un grand mouvement social qui se prépare, une aspiration de justice dont il faut tenir compte, sinon la vieille société sera balayée.[…]
Aurai-je réussi à faire comprendre, dans mon roman, les aspirations des misérables vers la justice ? Je ne sais. Mais j’ai voulu aussi bien établir que le bourgeois lui-même n’est pas coupable, individuellement. C’est la collectivité qui a toute la responsabilité. D’ailleurs, je le répète, qu’on ne s’y trompe pas, il y a un grand danger auquel seul le législateur peut parer. »
Interview au Matin, 7 mars 1885.
« L’idée que je puisse me vider avant la fin de la série, et la terminer ainsi à coups de bouquins médiocres, me hante d’un cauchemar depuis le premier roman. Enfin, Germinal n’est pas encore l’œuvre de la décrépitude. C’est tout ce qu’il me faut. »
Lettre à Louis Desprez, 11 mars 1885.
« Ce roman est une grande fresque. Chaque chapitre, chaque compartiment de la composition s’est trouvé tellement resserré qu’il a fallu tout voir en raccourci. De là, une simplification constante des personnages. Comme dans mes autres romans d’ailleurs, les personnages de second plan ont été indiqués d’un trait unique : c’est mon procédé habituel, et qui ne peut surprendre que ces bons critiques dont les yeux me lisent depuis vingt ans sans me voir. Mais regardez les personnages de premier plan : tous ont leur mouvement propre, une cervelle d’ouvrier peu à peu emplie des idées socialistes chez étienne, une exaspération lente de la souffrance jetant la Maheude de l’antique résignation à la révolte actuelle, une pente pitoyable où Catherine roule jusqu’au dernier degré de la douleur. Dans cette œuvre décorative, j’ai pensé que ces grands mouvements exprimeraient suffisamment une pensée, en se détachant sur la masse de la foule. »
Lettre à Henry Céard, 22 mars 1885.
« Germinal est une œuvre de pitié et non une œuvre de révolution. Ce que j’ai voulu, c’est crier aux heureux de ce monde, à ceux qui sont les maîtres : « Prenez garde, regardez sous terre, voyez ces misérables qui travaillent et qui souffrent. Il est peut-être temps encore d’éviter les catastrophes finales. Mais hâtez-vous d’être justes, autrement, voilà le péril : la terre s’ouvrira et les nations s’engloutiront dans un des plus effroyables bouleversements de l’Histoire. »
C’est dans l’enfer du travail que je suis descendu ; et, si je n’ai rien caché, pas même les déchéances du milieu, les hontes qui résultent de la misère et de l’entassement du bétail humain, c’est que j’ai désiré que le tableau fût complet, avec ses abominations, pour mettre des larmes dans tous les yeux, devant une si douloureuse existence de parias. Sans doute, ceci n’est peut-être pas pour les demoiselles, mais les familles doivent me lire. Vous tous qui travaillez, lisez, et lorsque vous aurez crié pitié et justice, ma tâche sera remplie.
Oui, un cri de pitié, un cri de justice, je ne veux pas davantage. Si le sol continue à craquer, si demain les désastres annoncés épouvantent le monde, c’est qu’on ne m’aura pas entendu. »
Lettre à David Daustreme, [vers le 11 décembre 1885].
« J’ai toujours, dans la série des Rougon-Macquart, gardé une large place à l’étude du peuple, de l’ouvrier, et cela dès l’idée première de l’œuvre. Mais ce n’est qu’au moment de L’Assommoir que, ne pouvant mettre dans ce livre l’étude du rôle politique et surtout social de l’ouvrier, je pris la résolution de réserver cette matière, pour en faire un autre roman. Et, plus tard, ce projet s’est précisé, lorsque je me suis rendu compte du vaste mouvement socialiste qui travaille la vieille Europe d’une façon si redoutable. Le cadre d’une grève s’est imposé naturellement à moi comme le seul dramatique, le seul qui devait donner aux faits le relief nécessaire. Germinal est donc le complément de L’Assommoir, les deux faces de l’ouvrier.
Quant à ce titre de Germinal, je ne l’ai adopté qu’après bien des hésitations. Je cherchais un titre exprimant la poussée d’hommes nouveaux, l’effort que les travailleurs font. même inconsciemment, pour se dégager des ténèbres si durement laborieuses où ils s’agitent encore. Et c’est un jour. par hasard, que le mot Germinal m’est venu aux lèvres. Je n’en voulais pas d’abord, le trouvant trop mystique, trop symbolique : mais il représentait ce que je cherchais, un avril révolutionnaire, une envolée de la société caduque dans le printemps. Et, peu à peu, je m’y suis habitué, si bien que je n’ai jamais pu en trouver un autre. S’il reste obscur pour certains lecteurs, il est devenu pour moi comme un coup de soleil qui éclaire toute l’œuvre. »
Lettre à Jacques van Santen Kolff, 6 octobre 1889.