« Au fond.

Déshabillé dans une salle basse, aux murs grossiers, sales, blancs et noirs. Portemanteaux primitifs. Deux baignoires, eau tiède. Le vêtement de mineur, la chemise de laine (celle de l’ouvrier est en toile), la culotte ou cule, la veste ou jupon, le béguin bleu serré par un cordon pour protéger les cheveux, le chapeau de cuir dur ou barrette. Gagné le puits, allé chercher la lampe, entré dans la berline. Sensation de froid dans la vaste salle du clichage. La descente commence. Au jour, quand on voit, sensation d’enfoncement, de fuite sous vous, par la disparition rapide des objets. Puis une fois dans le noir, plus rien. Monte-t-on, descend-on ? Par moments, il semble qu’on monte. Il y a comme des immobilités, quand la cage file droit sans toucher aux guides. Puis de légères secousses, un dansement dans les guides, des heurts (inquiétude). Cela a lieu surtout vers le milieu du puits, lorsque les deux cages se rencontrent ; et aussi à l’ouverture des galeries supérieures, endroits où les guides cessent. On ne voit absolument rien, pas même le cuvelage. On ne voit pas les guides, lorsqu’on les éclaire avec une lampe, ils filent comme des rails de chemin de fer : deux minutes au plus, pour descendre 476 mètres. Une minute pour monter. La pluie commence à une certaine profondeur, d’abord faible, puis augmentant ; c’est un ruissellement d’averse qui s’accroît jusqu’au fond, et dont on reçoit des éclaboussures.

Enfin, on est au fond, la cage s’arrête sur ses verrous. On se sent fixé et on descend. La cage en fer, à bandes de tôle, est garnie d’un treillage à mailles serrées, lorsqu’elle doit descendre des ouvriers, afin que ceux-ci ne puissent passer les membres.

La salle d’accrochage, ou l’accrochage, est une salle longue et assez large, voûtée à trois mètres, trois mètres cinquante. Maçonnée en briques. Quatre lampes à feu libre y pendent de la voûte. Clarté suffisante. Le sol est en plaques de fonte pour que les berlines puissent y rouler aisément en tous sens, bruits de roulage, égouttement continuel du puits, humidité là. On tourne autour des cages, les signaux de l’autre côté. Au fond du puits, le puisard, le bougnou, qu’on agrandit parfois, par une galerie latérale. Il peut avoir dix mètres de profondeur. On le vide tous les deux ou trois jours, en montant des berlines d’eau en tôle galvanisée. Deux étages de chargement pour aller plus vite. On descend les berlines par un système à contrepoids (une balance). Les hommes descendent à l’étage inférieur par une échelle de fer, installée dans un conduit taillé dans le roc. Donc les berlines arrivent par les galeries, quittent les rails (le cheval est dételé), et sont roulées sur les plaques de tôle, et glissées dans la cage. Trois galeries s’enfonçaient, une à droite, une en face, et une autre en retour.

On s’enfonce dans une galerie. La nuit s’y fait, les lampes qu’on porte éclairent fort peu (on s’y habitue pourtant). Devant moi, l’ingénieur qui marchait, plus grand que moi, m’apparaissait en silhouette noire, se détachant sur une lueur vague. Sa lampe éclairait surtout le plafond. D’abord des muraillements, une galerie assez étroite (à une seule voie) haute d’un mètre quatre-vingts, cintrée assez aigu. Ces galeries étaient fort sèches, pas d’humidité ; certaines, paraît-il, sont très humides. Je n’ai pataugé dans de la boue et des flaques qu’à un endroit. Le muraillement cesse quand le terrain devient solide, certaines parties de terrain sont si solides qu’on ne les boise même pas. On aperçoit le grès à nu. Enfin, on boise ; les bois, pelurés, debout de mètre en mètre, en haut, d’autres bois et des entrecroisements. On aperçoit entre les bois certains schistes sombres et qui luisent, surface comme vernie. Les grès sont ternes. Entre les bois, les plaques de schiste se feuillettent, semblent un entassement de déblais. Cette galerie était boisée à nouveau, neuve, pas encore d’odeur de bois. Le toit n’est pas régulier, tantôt il s’abaisse, et il faut baisser la tête, si l’on ne veut pas se cogner. Beaucoup d’irrégularité. Cependant, on marche à l’aise, de temps à autre la tête courbée. La galerie s’était élargie, deux voies pour les trains à chevaux. Des croisements de rails dans lesquels on bute. Les porions, les ouvriers connaissent les voies et ne butent jamais. Des galeries s’ouvrent parfois à droite ou à gauche, ce sont d’autres veines (chacune a son nom). Cela forme comme des carrefours. Nous sommes toujours là dans la galerie du fond, la galerie de roulage, où toutes les veines aboutissent et où se fait la traction à cheval. On entend brusquement un roulement lointain, c’est un train de berlines qui arrive. Si la galerie est droite, on aperçoit la petite lueur de la lampe au loin, une étoile rouge dans une nuit fumeuse. Le bruit se rapproche, on aperçoit vaguement le cheval blanc qui traîne. Un enfant est assis sur la première berline, c’est le conducteur. Derrière le train, un autre marche ou court les mains appuyées sur la dernière berline, pour veiller aux déraillements et pour refermer les portes d’aérage, que le cheval ouvre de lui-même (il est défendu à ce gabillot de s’asseoir sur la berline). Le train s’éloigne, le bruit se perd. L’ébrouement du cheval, surtout quand un train est arrêté et qu’il attend. Continuellement des trains passent, allant à l’accrochage ou en revenant. C’est une vie intense, sur les deux voies ; les trains attendent sur la voie unique. On rencontre aussi des ouvriers au fond avec leurs lampes, ils se rangent et se saluent. La galerie va en ligne droite, ou s’arrondit, ou zigzague. De temps en temps, dans ces galeries du fond, de minces veines de houille, cassées, trop étroites, inexploitables, noires au milieu des schistes et des grès.

Enfin, on arrive à la galerie de la veine. La traction par cheval cesse, ce sont des rouleurs, des herscheurs qui poussent les berlines. La galerie devient plus étroite et surtout plus basse. Un autre fait que j’oubliais, c’est l’aérage. Quand on part du puits et qu’on se trouve dans l’accrochage, le courant d’air est vif et froid, 15° au plus. Dans la galerie muraillée, étroite, à une seule voie, il augmente, devient une véritable tempête. Dans la galerie à deux voies, le passage étant plus large, le courant d’air est plus faible, mais encore assez vif, car tout l’aérage y passe encore. On ne commence à avoir chaud que dans la galerie de la veine, où il ne passe plus que la quantité nécessaire d’air, car on divise l’aérage, une distribution se fait. Et plus on s’enfonce, plus la chaleur augmente. À la taille où je suis allé, à la taille de fond, elle pouvait être de 25°. Les transitions sont assez brusques, les différences de température peuvent atteindre une différence de 10 à 12°. On est donc dans la galerie de fond, plus étroite et surtout plus basse. Là, il faut par moments se plier en deux, le toit s’abaisse, irrégulier, parfois, il prend la forme en appentis. Des bois ont cédé au poids, se sont cassés net par le milieu. Les grès tendent à descendre, on voit la cassure blanche, d’autres ont résisté. Menace d’éboulement continuelle.

Enfin nous voici au fond de la galerie de roulage. La taille de fond est à droite, en montant, douze mètres pour gagner la galerie d’en haut. Au fur et à mesure que les ouvriers avancent dans la houille, ils boisent derrière eux, et les ouvriers de l’après-midi, la coupe à terre, remblaient, en jetant entre les bois qu’on laisse les déblais de la galerie de fond. Cette galerie est poussée par les piqueurs qui extraient le charbon de la veine et qui enlèvent aussi la roche, dont ils laissent les déblais sur la voie, pour que les ouvriers de la coupe à terre les prennent et remblaient l’après-midi. En même temps, ils créent la galerie supérieure, que les remblayeurs laissent se former d’un bout à l’autre. Le front de taille est la partie de la veine que l’ouvrier abat et qui roule sur la galerie de fond, où l’on charge les berlines. Il faut trois mètres pour qu’un ouvrier travaille, il s’appuie sur sa planche à crochets (qui s’accroche aux bois de soutènement coupés à la hauteur de la veine). Cette planche retient le charbon qui tomberait plus bas sur la tête de l’autre ouvrier. Cinq ouvriers peuvent ainsi travailler les uns au-dessus des autres. Ils doivent boiser de temps à autre. Ils travaillent donc ainsi sur un plan incliné plus ou moins, suivant l’inclinaison de la veine. L’ouvrier se met sur le flanc et attaque la veine de biais. J’en ai vu un tout nu, avec la peau salie de poussière noire. Les yeux et les dents blanches. Quand ils rient, des Nègres.

On monte parmi le charbon abattu, en se tenant aux bois ; très chaud, la sueur coule. Les lampes petites, les formes s’agitant dans la nuit fumeuse, au fond de cette tranchée béante et noire. Les voix étouffées. Tout noir. Enfin en haut, à gauche, on trouve l’amorce de la galerie supérieure, laissée en haut de la taille, et qui fait retour tout le long de la taille déjà extraite et remblayée. Seulement, elle n’a pas été agrandie, exhaussée surtout, et il faut se traîner à quatre pattes dans une forte chaleur. Les bois cassés recommencent, des portes d’aérage à chaque instant, ce sont des portes de bois dans des châssis, ou parfois de simples couvertures de laine qui retombent (provisoires). C’est la galerie ménagée pour le roulage de la taille supérieure, lorsqu’on l’exploitera. Le charbon descendra sur la voie, puis sera descendu sur la voie de fond, pour être mené aux chevaux, sera descendu, dis-je, par des cheminées ou des plans inclinés. La cheminée est simplement un trou allant de la voie supérieure à la voie de fond, laissé dans la veine extraite : on doit choisir l’endroit où la roche est solide et n’a pas besoin d’être étayée. Le plan incliné est une cheminée organisée où l’on a posé des rails sur des planches presque verticales, et où passent des berlines sur des affûts, grâce à un système de contrepoids.

De cette façon, les tailles peuvent se succéder ainsi les unes aux autres, le charbon descend toujours à la galerie de fond pour être traîné au pied du puits par les chevaux. Les tailles marchent les unes en arrière des autres, celle du fond toujours la première.

La taille où je suis allé avait beaucoup de grisou. On sent cela à une pesanteur sur les yeux. La taille était sèche, d’autres sont humides, laissent tomber de l’eau sur les piqueurs. À la chaleur se joint l’eau.

Je suis revenu par le même chemin. La sensation de vent violent et de froid, quand on se retrouve dans la galerie de fond, le roulage muraillé où passe tout l’air.

L’écurie était à gauche en tournant dans une galerie. Une longue salle taillée dans le roc, vingt et un mètres de long, quatre de hauteur, maçonnée en brique, dallée, voûtée. Les noms et les numéros des chevaux derrière eux, sur des plaques de tôle. Seize chevaux. Longue mangeoire le long du mur. Bonne chaleur, bonne odeur de paille et de bêtes vivantes. On ne remonte les chevaux que malades, morts ou trop vieux. Mon cheval aveugle, très intelligent, etc. Un cheval mort remonté. Leur éblouissement quand on les remonte.

Enfin, je remonte, beaucoup plus vite. Arrivé tout de suite. La cage franchissant les deux étages assez lentement. On a envie d’être accroché solidement. »

Documents préparatoires de Germinal, NAF 10308, f° 227-242.

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