I. Au Bonheur des Dames les vitrines paraissent comme chauffées et vibrantes d’une trépidation intérieure. La chaleur d’usine dont flambe la maison vient d’une bousculade des comptoirs, d’un ronflement continu de machine, d’un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. En face, la boutique du Vieil Elbeuf est écrasée de plafond, et sous ses boiseries vertes que le temps a nuancé d’ocre et de bitume, deux vitrines profondes, noires et poussiéreuses, exposent des pièces d’étoffes entassées. Baudu y recueille sa nièce Denise, devenue orpheline.

II. Quand elle se propose comme vendeuse au Bonheur, le hasard la met en présence du patron. Octave Mouret a inventé l’école du brutal et du colossal, Paris se donnant dans un baiser au plus hardi. Il a aussi le génie de la mécanique administrative, organisant sa maison pour exploiter les appétits des autres, pour le contentement tranquille et complet de ses propres appétits, prévoyant d’enterrer ses concurrents, des brocanteurs qui crèvent de rhumatisme dans leurs caves.

III. Chez Madame Desforges, qui l’adore avec la violence d’une femme de trente-cinq ans déjà et qui n’en avoue que vingt-neuf, Octave Mouret propose au directeur du Crédit Immobilier une association : il s’agit de renouveler encore plus rapidement le capital, de le faire passer en marchandises le plus de fois possible dans la même année. La fortune était dans le bon fonctionnement d’une vente qui bouleversait Paris, toute faite de la chair et du sang de la femme. Prise au piège continuel des occasions, étourdie devant les étalages, elle succombera fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par le coquetterie, puis dévorée.

IV. Au Bonheur, c’est la grande vente d’octobre. Dès la porte, le Salon oriental est un émerveillement, une surprise. Sur les comptoirs envahis par une mer montante de teintes neutres, de tons sourds de laine, gris-fer, gris-bleu, gris-jaune, les tissus se mêlent et s’écroulent. Dans l’air immobile, le brouhaha augmente, fait de tous les bruits, du piétinement continu, des mêmes phrases cent fois répétées autour des comptoirs, de l’or sonnant sur le cuivre des caisses assiégées par une bousculade de porte-monnaie.

V. Si Mouret traite Denise en enfant, avec plus de pitié que de bonté, elle doit surmonter treize heures par jour les terribles fatigues du rayon des confections. Au martyre physique s’ajoute la sourde persécution de ses camarades. Sans appointements fixes, empêchée de vendre par ces demoiselles du rayon, elle arrive tout juste à payer la pension de son petit frère.

VI. À la morte-saison d’été  souffle un vent de panique, la terreur des congés, les renvois en masse dont la direction balaie le magasin, vide de clientes pendant les chaleurs de juillet-août. Et chacun n’a qu’une idée fixe, déloger le camarade au-dessus de soi, pour monter d’un échelon, le manger s’il devient un obstacle. « Passez à la caisse, mademoiselle Baudu ! »

VII. C’est la misère noire pour Denise, une de ces débâcles sombres qui jettent les filles au ruisseau ou à la Seine. Un marchand de parapluies, révolté contre l’envahissement banal des articles de bazar, lui invente de la besogne par charité pure. Mais elle est secrètement pour les grands magasins, dans son amour instinctif de la logique et de la vie.

VIII. Des agrandissements considérables sont entrepris au Bonheur des Dames, des magasins gigantesques tenant trois façades. Il y a maintenant vingt-huit rayons et mille employés. L’architecte fait travailler la nuit, les équipes se succèdent, les marteaux n’arrêtent pas, les machines sifflent continuellement. La boutique du Vieil Elbeuf s’est encore plus assombrie, gagnée par la somnolence de la ruine : trous de ténèbres aux angles vides, poussière sur les comptoirs et les casiers, odeur de cave salpêtrée montant des ballots de draps. C’est la mort lente, sans secousse, un ralentissement continu des affaires, des clientes perdues une à une. Denise retourne au Bonheur, avec mille francs d’appointements.

IX. Les magasins neufs, une cathédrale du commerce moderne, solide et légère, faite pour un peuple de clientes, sont inaugurés par la grande exposition des nouveautés d’été. Les tapis et les soies brodées pendent comme des bannières de procession, les angles des galeries latérales sont comme les charpentes d’un clocher. Mouret a bâti ce temple pour tenir la femme à sa merci, dans la névrose des grands bazars. La recette est énorme, soixante-dix mille clientes sont venues. Mouret propose un marché d’amour à Denise, et la promeut seconde du rayon.

X. Un dimanche d’inventaire. Denise sent qu’elle a toujours aimé Mouret, depuis son entrée, quand elle avait frémi et balbutié devant lui. Elle l’aimait lorsqu’elle le redoutait comme un maître sans pitié, jamais elle n’avait aimé que cet homme dont un regard la terrifiait. Mais elle est résolue à s’écraser le cœur et à ne faire que son vouloir. Mouret la suit d’un regard désespéré. Tout a disparu, ses victoires brillantes d’hier, la fortune colossale de demain. Jamais il n’avait aimé ainsi, avec ce charme puissant dans sa souffrance.

XI. Madame Desforges a fait venir Denise chez elle, sous prétexte de reprendre la coupe d’un manteau et la traite sèchement. Le cœur de Mouret bondit sous l’humiliation de son amour, il aime Denise davantage, d’une tendresse émue, devant son beau silence et rompt avec Madame Desforges.

XII. Les journées de Mouret s’écoulent dans une obsession douloureuse. Qu’avait-elle donc pour le lier ainsi ? Elle était intelligente comme elle était belle, son intelligence venait du meilleur de son être. Il sentait profondément l’injure de son impuissance. Vingt fois il l’avait suppliée, offrant de l’argent, beaucoup d’argent, et une place de première. Et elle refusait, elle refusait encore ! Denise ne savait parfois plus pourquoi, sinon par fierté et par raison, par une révolte contre le don définitif de son être, jeté à l’inconnu du lendemain.

XIII. Geneviève Baudu, la fille du Viel Elbeuf, meurt de phtisie. L’enterrement ressemble au piétinement d’un troupeau conduit à l’abattoir, toute la déconfiture des boutiques d’un quartier, le petit commerce traînant sa ruine, avec un bruit mouillé de savates, dans la boue noire de Paris.

XIV. C’est la grande exposition du Blanc. Rien que du blanc, tous les articles blancs de chaque rayon, une débauche de blanc, un astre blanc dont le rayonnement fixe aveugle. Rien que du blanc, mais jamais le même blanc, tous les blancs, s’enlevant les us sur les autres, s’opposant, se complétant, arrivant à l’éclat même de la lumière. Denise a annoncé son départ du Bonheur, Elle en était arrivé à un malaise nerveux, à des angoisses intolérables, au milieu des commérages sans cesse renaissants, des brulantes obsessions de Mouret, des combats qu’elle avait à se livrer contre elle-même. Elle préférait s’éloigner. Mouret, lui, a tout d’un coup le besoin irraisonnable d’être vaincu, le non sens d’un homme de guerre pliant sous le caprice d’un enfant. Il propose à Denise de l’épouser. Elle accepte.

Ce résumé n’utilise que des mots employés par Zola

Fermer le menu