« Le poème de l’activité moderne. La joie de l’action, le plaisir de l’existence. »
Documents préparatoires du Bonheur des dames, NAF 10277, f° 30.

« Je veux dans Au Bonheur des Dames faire le poème de l’activité moderne. Donc, changement complet de philosophie : plus de pessimisme d’abord, ne pas conclure à la bêtise et à la mélancolie de la vie, conclure au contraire à son continuel labeur, à la puissance et à la gaieté de son enfantement. En un mot, aller avec le siècle, exprimer le siècle, qui est un siècle d’action et de conquête, d’efforts dans tous les sens. – Ensuite, comme conséquence, montrer la joie de l’action et le plaisir de l’existence ; il y a certainement des gens heureux de vivre, dont les jouissances ne ratent pas et qui se gorgent de bonheur et de succès : ce sont ces gens-là que je veux peindre, pour avoir l’autre face de la vérité, et pour être ainsi complet ; car Pot-Bouille et les autres suffisent pour montrer les médiocrités et les avortements de l’existence. »

Documents préparatoires du Bonheur des dames, NAF 10277, f°2-3.

« Là apparaît le côté poème du livre : une vaste entreprise sur la femme, il faut que la femme soit reine dans le magasin, qu’elle s’y sente comme dans un temple élevé à sa gloire, pour sa jouissance et son triomphe. La toute-puissance de la femme, l’odeur de la femme domine tout le magasin. – Et l’idée commerciale d’Octave est là, plus ou moins consciente et affichée.

Pourtant, je ne voudrais pas d’épisodes trop sensuels. Éviter les scènes trop vives, qui finiraient par me spécialiser. – Certes, laisser le grouillement féminin nécessaire ; mais choisir comme élément de passion central une figure d’honnête, luttant. Je voudrais par exemple une demoiselle de magasin, la misère en robe de soie, une fille dont je peindrai les souffrances, et que je ferai heureuse ou malheureuse plutôt à la fin. – Mais il faut trouver l’intrigue. Éviter de répéter Madame Hédouin et Florent [personnages de Pot-Bouille et du Ventre de Paris].

Comme intrigue d’argent, j’ai mon idée première d’un grand magasin absorbant, écrasant tout le petit commerce d’un quartier. Je prendrai les parents de Mme Hédouin, un mercier, une lingère, un bonnetier, et je les montrerai ruinés, conduits à la faillite. Mais je ne pleurerai pas sur eux, au contraire ; car je veux montrer le triomphe de l’activité moderne ; ils ne sont plus de leur temps, tant pis ! Ils sont écrasés par le colosse. […]

Le côté financier du magasin doit aussi être très étudié. Il faut des fonds considérables à Octave qu’il peut se procurer dans une grande maison de banque. Par exemple, il connaît la maîtresse d’un grand banquier, avec laquelle il couche, qu’il intéresse dans l’affaire, et qui lui fait obtenir les fonds ; le grand banquier peut avoir déjà acheté les terrains en bordure de la rue du Dix décembre. […] Si au contraire je ne la garde pas, il faut que je donne à Octave la propriété entière du magasin. Cela aurait le bon côté de n’avoir qu’un homme à la tête, sur ce peuple de femmes. Et alors je pourrai chercher le sujet dans cette idée générale et philosophique : Octave exploitant la femme, puis vaincu par la femme. Mais cela très gai. […]

La lutte des deux magasins doit être le vrai drame, très vibrant. L’ancien commerce battu dans une boutique, puis dans d’autres moins importantes, disséminées dans le quartier. […]

En somme, je voudrais bien me contenter d’une intrigue très simple : d’un côté le côté financier et commercial, la création du monstre, donné par la rivalité des deux magasins et par le triomphe du grand écrasant le quartier ; et de l’autre, le côté passion, l’amour, donné par une intrigue de femme, une petite ouvrière pauvre dont je raconte l’histoire et qui conquiert Octave peu à peu. Tout le roman est là, décidément. […]

Mettre beaucoup plus d’analyse que dans Pot-Bouille, tout en gardant le plus de vie dramatisée. »

Documents préparatoires du Bonheur des dames, NAF 10277, f° 4-14.

Plan détaillé

I. Octobre 64. Arrivée de Louise [Denise] à Paris. Jean et Pépé. L’extérieur du Bonheur revenant trois fois. Les Baudu, Geneviève, Colomban. Tout le petit commerce posé. Barrois, Vinçard et Robineau. Gaujan. – Hist. D’Octave posée. Tout le quartier devant le Bonheur.

II. Octobre 64. L’intérieur du Bonheur sans les clientes. Louise venant se présenter. Promenade d’Octave et d’Hervieu [Bourdoncle] posant tous les rayons. Tous les employés. La mécanique intérieure expliquée. Préparation de la mise en vente d’hiver. Louise a peur en face d’Octave. Deloche.

III. Octobre 64. Chez Henriette Desforges. L’affaire financière posée avec le baron Decker [Hartmann]. Un thé. Toutes les clientes posées. Octave et Paul ; puis Octave et le baron ; puis Octave et ces dames. – Poser Henriette et tous les personnages nouveaux.

IV. Octobre 64. Mise en vente des nouveautés d’hiver. Tout le magasin, avec le premier jour de Louise au rayon. Les clientes inconnues. Les clientes connues, allant de rayon en rayon. Les vendeurs à l’œuvre, lutte pour la vie à la soie. Louise émue devant Hutin. Sa peur d’Octave. Louise et Henriette. – Une scène. – Le soir Louise dans sa chambre.

V. Octobre 64 à juillet 65. Mœurs des employés. La vie de Louise dans le rayon. Misère en soie noire : ses enfants. Tous contre elle. Son amie Marguerite [Pauline]. Sa tendresse pour Hutin. Mœurs des vendeurs. Hutin, Lienard et Delhoche. – La partie de campagne. Rentrée de Louise, le magasin la nuit.

VI. Les renvois. Morte saison d’été. Hutin faisant congédier Robineau. Jouve faisant congédier Louise, à propos de Jean. – Cadre des salles à manger. Continuer la peinture du magasin, l’été.

VII. Juillet 65 à février 67. Louise dehors. Sa misère avec ses deux enfants. Loge chez Barrois : l’expropriation qui commence. Entre enfin chez les Robineau. Magasin des Robineau : Vinçard, Gaujean. Petit commerce de quartier. Louise rencontre Octave qui la prie de rentrer. Continuer l’analyse de ses sentiments devant lui.

VIII. Février 67. Chez les Baudu. Louise a rencontré son oncle. Où en sont les Baudu ; la campagne vendue. Le mariage de Colomban et Geneviève. Tout le petit commerce du quartier. Madame Baudu devant le Bonheur qui grandit et qui lui prend tout.

IX. Février 67. Second état du Bonheur. Grandi. Inventions d’Octave. Mise en vente des nouveautés d’été. Désir d’Octave pour Louise, indiqué seulement. Les clientes inconnues, les clientes connues. 1er vol de Mme de Boves. Tentation. Promenade plus âpre à travers les rayons. Tous les employés. Henriette de nouveau devant Louise. Clara. – Louise et Octave après la recette. Hutin oublié.

X. Mars 67 à août 67. Travail d’Octave autour de Louise. Cadre : l’inventaire. Louise en haut ; entorse. Les chambres reviennent. La grande cuisine. – Tous poussant Louise à Octave. Celle-ci, troublée, ne s’avoue pas encore qu’elle l’aime. Elle refuse. Nommée seconde. – Mœurs des employés reviennent. Hutin contre Bouthemont. Favier derrière. Pauline et Baugé.

XI. Octobre 67. Chez Henriette. Jalouse. Permet Clara, mais pas Louise. Elle attire Louise : la scène, Octave, Louise comprend qu’elle aime Octave. – Les clientes. Octave et le baron. Octave et Paul. Octave et ces dames. Contrecoup du jour de vente. – L’affaire de la rue du Dix-Décembre finie.

XII. Octobre 67 à janvier 69. Tourment d’Octave. Lutte avec Louise qui résiste. On bâtit la façade. Octave jaloux de Delhoche. Explication avec Louise. Ateliers dans les combles. – Le vol de Mignot. – Renvoi de Pauline et Baugé. Combats pour la vie. Bouthemont renvoyé à cause de Hutin.

XIII. Janvier 69. Fin du petit commerce. Barrois exproprié. Robineau ruiné et voulant se suicider. – Fin des Baudu, mort de Geneviève et de Mme Baudu. – Ruine des autres petits commerçants. – Louise apitoyée et conduisant tout.

XIV. Février 69. Troisième état du Bonheur. La façade sur la rue du Dix-Décembre. Apothéose finale, avec la mise en vente du blanc. Finir tout le monde, les vendeurs, les clientes. Vol de Mme de Boves. Enfin, Octave offrant à Louise de l’épouser, et celle-ci acceptant. Triomphe de la femme aimée, devant la femme exploitée. »

Documents préparatoires du Bonheur des dames, NAF 10277, f° 31-32.

Fermer le menu