« Je suis dans mon trou et je travaille. Le premier chapitre du Bonheur est terminé, et je vogue dans le second. Encore un livre tour de force, qui achèvera de me dégoûter de notre littérature compliquée. Au demeurant, je suis satisfait. »

Lettre à Henry Céard, 16 juin 1882.

« Vous me demandez un sommaire. Mais rien n’est moins commode à établir, pour une œuvre comme les miennes, faites de petits détails, et où manœuvrent une soixantaine de personnages. Tout ce que je puis vous envoyer, c’est l’exposé du sujet.

Au Bonheur des Dames est l’histoire de la création d’un de ces grands magasins de nouveautés, tels que le Bon-Marché et le Louvre, qui ont chez nous bouleversé et renouvelé le commerce. Je le montre en lutte avec tout le petit commerce qui peu à peu est dévoré par lui. Pour cela, j’ai donc mis en œuvre une maison rivale, une vieille maison qui incarne les antiques mœurs, et que tue le grand magasin, ce qui me donne un drame de famille. En outre, il y a plusieurs épisodes de moindre importance, avec d’autres boutiques du quartier. Mais ce n’est là que le côté affaires. Le côté passion, le plus important, est représenté par une jeune fille, Denise, qui débarque à Paris avec ses deux jeunes frères. Elle entre au Bonheur des Dames, où elle endure toutes les souffrances du début. Puis, le fondateur de la maison, Octave Mouret, tombe amoureux d’elle ; et alors commence l’antagonisme que j’ai voulu établir. Cet Octave Mouret a basé sa grande affaire sur l’exploitation de la femme : il spécule sur sa coquetterie, il flatte les clientes, les installe chez lui comme des reines, pour mieux vider leur bourse. Et le voilà amoureux d’une petite fille qui va venger toutes les femmes. Lui qui ne croyait qu’à la force, qui plaisantait l’amour, le voilà aux pieds de Denise, se mourant de passion. D’abord, il a voulu en faire sa maîtresse. Puis, sur le refus de la jeune fille, il en vient peu à peu à l’épouser, après lui avoir donné dans sa maison des positions de plus en plus élevées. Elle l’a vaincu par sa simplicité et son honnêteté. Je le répète, c’est la vengeance de la femme. Mouret, qui a gagné une immense fortune, souffre affreusement et donne tout pour être aimé de Denise.

Voilà la carcasse du sujet. J’y ai mis naturellement la peinture des mœurs de notre grand commerce actuel. »

Lettre à Frank Turner, 10 octobre 1882.

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