– Quelle est votre opinion sur Émile Zola ?

– Je vous dirai d’abord que je n’ai pas lu ses derniers romans. Mais ses œuvres de jeunesse laissaient prévoir autre chose que ce qu’il est aujourd’hui. Je regrette, pour ma part, de voir un homme d’aussi grand talent – car il y a chez lui, il faut le reconnaître, un esprit profond d’observation, une étude forte, une conception parfois puissante – mais je regrette, dis-je, de le voir tombé dans ce qu’on entend par réalisme.

J’ai de l’art une toute autre conception que la sienne ; je pense que l’artiste doit, au contraire, s’attacher à nous élever au-dessus des spectacles vils et monotones de la réalité répugnante. Quant à moi, je lis une œuvre non pour revoir des scènes dont je suis tous les jours témoin, mais pour agrandir mon esprit, ennoblir mes sentiments. L’idéal, oui, je le sais, cela fait rire aujourd’hui ; eh bien, moi, j’y tiens, et tant pis pour ceux qui n’y tiennent plus.

Quelques heures de promenade m’en apprennent plus qu’un roman de Zola. Je ne dis pas que ce qu’il nous raconte dans L’Assommoir ou Nana ne soit pas vrai et étudié, mais à quoi bon le dire, à quoi bon répéter ce que nous savons, ce qui nous écœure ?

Mais, il y a une autre réalité plus large que celle entrevue par Zola, car dans la nature, à côté du sale et du laid, il y a le beau et le sublime. Enfin, que voulez-vous que je vous dise ? Zola ne m’intéresse plus. Il ne m’apprend rien de nouveau.

Cependant, cette littérature plaît à un certain public qui se dit : « Cela est vrai, bien observé, bien décrit. » Et l’on voit les éditions de ces romans tirer à cent mille exemplaires. Mais, en dehors de ce public, le nombre des lecteurs sérieux est restreint ; il n’est pas plus nombreux aujourd’hui qu’il ne l’était sous l’Empire.

Ernest Renan, interview à La Presse, 4 avril 1890.

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