Le tas de fumier devenait une montagne auguste et puissante que doraient, au sommet, les rayons de l’astre plongeant à l’horizon, dans les mélancolies glorieuses du combat. Émile Macquart charriait toujours. D’un effort obstiné et rythmique, il poussait sa brouette pleine sur les pentes du tas et montait peu à peu, ascendait de l’ombre vers la lumière et se trouvait à la fin tout en haut, étincelant et doré lui-même, comme la flamboyante personnification du travail vainqueur. Cette buée chaude qui montait des fumiers accumulés, semblable à des spirales de fumée s’échappant de mille cassolettes d’encens, c’était le souffle de la vie, la respiration formidable de l’avenir en germe. Émile, debout sur la montagne, songeait. En avait-il entassé des fumiers ! Fumiers de toutes sortes, depuis les fumiers de L’Assommoir remués d’une fourche courageuse : ce soulot de Coupeau, cette … (n’oublions pas que j’écris aujourd’hui le couronnement de mon œuvre, pour les jeunes filles) génisse de Gervaise et ce (n’oublions pas !) sale voyou de Lantier. Tous immondes ! Et cette (n’oublions pas que ce livre pourra être donné en prix aux Petits Oiseaux et cherchons une expression chaste) vierge folle de Nana ! « Nana était en chemise, le comte Muffat, affalé dans un fauteuil, admirait les splendeurs molles de sa chair grasse. – N… d. D… ! gueula Nana, toutes tes grues de femmes du monde sont-elles fichues comme moi, vieux daim ? » Après Nana, une couche de fumier au-dessus, c’était Pot-Bouille, fumier de bourgeoisie en décomposition. Oh ! cet escalier de la maison, en avait-il vu ! Sur chaque marche, sur chaque palier, s’étaient promenées, à l’odeur des plombs ouverts, les amours malades et chlorotiques de ces bourgeoises dédaignées par Trublot qui préférait les bonnes bien sales et bien graillonneuses. Sacré farceur, va !
Ensuite, par la pensée, Émile retrouvait maintenant l’arrière-goût des vieux cataplasmes de La Joie de vivre. Quelle mine pour les porions de Germinal ! Les voyez-vous fouillant là-dedans avec le pic ! Zut alors !
Mais tout cela ne valait pas le tas d’ordure de La Terre. Ce titre le faisait rêver. Il la voyait, notre planète, concrétion d’ordures, boule d’immondices, sur laquelle grouillent les vers et les hommes, roulant énorme et pustuleuse à travers les étendues sidérales et traînant dans l’azur, comme une queue de comète miasmatique, le rebut des saletés humaines.
Émile debout sur sa montagne de fumier, la tête dans le ciel, contemplait maintenant le lis blanc qu’il avait planté.
Il avait fallu tout cet engrais, ces colossales alpes de guano pour faire pousser ce lis triomphant, Mlle Angélique, fille de tous ces voyous de Rougon-Macquart, nièce à Coupeau, cousine de Buteau, de Nana, de Lantier, pure et blanche fleur, idéale et chaste figure !…
Albert Robida, La Vie parisienne, 30 juin 1888.