Commencée en 1871, cette série de vingt romans, qui n’a paru en volume qu’après avoir été publiée en feuilleton dans différents journaux ou revues, est arrivée à sa fin par Le Docteur Pascal, en 1893, en soulevant, dans sa longue course littéraire, plus de curiosité que d’admiration. Zola a orgueilleusement attribué à son mérite, que dis-je ? à son génie, un succès de vente qu’il n’aurait dû attribuer qu’à la liberté scandaleuse de ses peintures et à la crudité grossière du langage et des mœurs de ses personnages. Tous ces détraqués, atrocement vicieux et salement obscènes, se tiennent, non par les fatalités ataviques du fil héréditaire, mais par les nécessités spéculatives de l’écrivain : il préfère vivre de ses livres que de les faire vivre ; il est chef de bande et non chef d’école. Chaque roman est, pour ainsi dire, comme une espèce d’embuscade dont il sort toutes sortes de gens disposés à tous les mauvais coups. […]

Il m’arriverait, en suivant ce fil dans toutes ses fantaisies et ses cascades, de trouver [l’arbre généalogique] souvent brisé et de constater que, dans ce tohu-bohu de légitimes et de bâtards, de mâles et de femelles, de beaux-pères et de belles-filles, de beaux-frères et d’oncles, de neveux et d’aïeules, plus d’un ne tient plus aux branches de l’arbre des Rougon-Macquart que par le fond du pantalon, et plus d’une que par une bride de son bonnet ou un reste douteux de sa chemise. […] Cet arbre me fait songer, malgré moi, à l’arbre de la science du bien et du mal ; mais Zola en a gaulé avec un tel acharnement les fruits du bien, qu’on ne peut y cueillir désormais que les fruits du mal.

Du succès payé en espèces sonnantes et de la gloire touchée au comptant, c’est de l’immortalité escomptée d’avance à forts intérêts : on n’a rien à espérer de la postérité, c’est le cas de Zola. […] Il pouvait faire bien dans le bien, c’est la mission de tout honnête homme ; il fait bien dans le mal ; c’est le pis de son œuvre, c’est la mauvaise action de son talent, ce sera le châtiment de sa vie littéraire. Il ne restera et ne sera lu que comme une individualité curieuse et particulière ; la postérité, s’il y va, le classera dans le genre des curiosités et des étrangetés littéraires. Les cruautés maladives de son tempérament feront peut-être excuser les exagérations aphrodisiaques de son procédé littéraire, de sa méthode plus anatomique que psychologique, mais lui feront refuser le titre d’écrivain génial.

Antoine Laporte, Émile Zola, l’homme et l’œuvre, 1894.

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