PREMIÈRE VERSION DE 1869

Un roman sur les prêtres (Province)
Un roman militaire (Italie)
Un roman sur l’art (Paris)
Un roman sur les grandes démolitions de Paris
Un roman judiciaire (Province)
Un roman ouvrier (Paris)
Un roman dans le grand monde (Paris)
Un roman sur la femme d’intrigue dans le commerce (Degon) Paris
Un roman sur la famille d’un parvenu (effet de l’influence de la brusque fortune d’un père sur ses filles et garçons) Paris
Roman initial, province.

Documents préparatoires des Rougon-Macquart, NAF 10345 f° 23

SECONDE VERSION DE 1869

La Fortune des Rougon
La Curée
Le Ventre – Lisa
La sottise faute de l’abbé Mouret – Serge et Désirée Mouret
Le roman politique (journaux) – Eugène Rougon
Le roman d’art – Claude Lantier
Le roman sur la rente viagère – Agathe Mouret
Le roman populaire – Gervaise Ledoux et ses enfants
Le roman sur la guerre d’Italie – Jean Macquart
Le roman sur le haut commerce (nouveautés) – Octave Mouret
Le roman sur le demi-monde – Anna Ledoux
Le roman judiciaire (chemin de fer) – Étienne Lantier
Roman sur la débâcle – Faire revenir Aristide (L’étude sur les journaux à la fin de l’Empire) – Eugène et les autres
Roman sur la guerre, le siège et la Commune – Faire revenir Maxime et les enfants
Roman scientifique – Pascal, Clotilde, faire revenir Pierre Rougon, Félicité Macquart, etc. Pascal en face du fils de Maxime
Un roman sans doute avec François Mouret, Marthe et Anne Rougon. La Conquête de Plassans
Un 2e roman ouvrier – Particulièrement politique. Outil révolutionnaire. L’ouvrier de l’insurrection de la Commune. Une photographie d’insurgé tué en 48. Aboutissant à mai 71.

Documents préparatoires des Rougon-Macquart, NAF 10345 f° 129

PROJET DÉTAILLÉ DE 1869

« Dans les romans qui suivront [La Fortune des Rougon], la descendance de Tante Dide se séparera en deux branches, les enfants de Pierre Rougon et les enfants d’Antoine Machard. Les premiers se lanceront dans les fortunes rapides et peu scrupuleusement acquises du second Empire ; ils contenteront leurs appétits, grâce au luxe effréné du temps, à l’étalage des jouissances et finiront par le rachitisme du cerveau et du cœur ; les seconds, gardant leur misère, souffriront du mal de l’époque dans leur intelligence et dans leur corps. En outre, à un point déterminé, les deux branches s’uniront et produiront un cas humain particulier.

Voici rapidement l’indication du cadre et des personnages de chaque roman.

Un roman qui aura pour cadre les spéculations véreuses et effrénées du second Empire et pour héros Aristide Rougon, l’homme de Rolleboise qui flairait la fortune et qui a laissé assassiner Silvère. Venu à Paris après la proclamation de l’Empire, il se mêle au grand mouvement d’achat et de vente de terrains déterminé par les démolitions et la reconstruction de M. Haussmann. L’œuvre sera le poème ou, plutôt, la terrible comédie de l’expropriation, des vols contemporains.
Aristide réalise en quelques années une immense fortune, il souffre de sa femme. Peinture d’un ménage parisien, dans la haute sphère des parvenus.

Un roman qui aura pour cadre la vie sotte et élégamment crapuleuse de notre jeunesse dorée, et pour héros le fils d’Aristide Rougon, Maxime, un de ces avortons que l’on a nommés avec énergie des « petits crevés ». Ces misérables pantins sont bien la caractéristique de l’époque. Éducation de Maxime, sa tête et son cœur vides. Il est un produit des appétits de son père et de cette fortune rapide et volée, qui le met à même dès quinze ans de se vautrer dans toutes les jouissances. Il y a là un monde à peindre et à marquer d’un fer rouge. Le père est puni par le fils, et c’est la morale de l’œuvre entière. Dans l’œuvre, Maxime représente le produit chétif et malsain d’une famille qui a vécu trop vite et trop gorgée d’argent.

Un roman qui aura pour cadre le monde officiel et politique et pour héros Eugène Rougon, l’homme qui a aidé au coup d’État. Je puis en faire soit un ministre, soit un grand fonctionnaire. L’ambition d’Eugène est plus haute que celle des autres membres de sa famille.
Il a moins soif d’argent que de puissance, mais le sens de la justice et de la probité politique lui manque. D’ailleurs, c’est un homme de talent.
Un Morny au petit pied. Il épousera la fille d’un comte quelconque, rallié à l’Empire, ce qui introduira dans l’œuvre des types affaiblis de notre noblesse agonisante.

Un roman qui aura pour cadre les fièvres religieuses du moment, et pour héros, Serge Mouret, fils de François Mouret et d’une demoiselle Anne Rougon.
C’est dans Serge que les deux branches de la famille se mêlent.
Le produit est un prêtre. J’étudierai dans Serge Mouret la grande lutte de la nature et de la religion. Le prêtre amoureux n’a jamais, selon moi, été étudié humainement. Il y a là un fort beau sujet de drame, surtout en plaçant le prêtre sous des influences héréditaires.

Un roman qui aura pour cadre le monde militaire, et pour héros Jean Machard, fils d’Antoine.
La guerre telle qu’elle est. Rapports de l’Empire avec l’armée.
Ce que je désire, c’est montrer de vrais champs de bataille sans chauvinisme et faire connaître les vraies souffrances du soldat.
Un roman militaire est de toute nécessité dans la série.

Un roman qui aura pour cadre le monde ouvrier, et pour héros Denis Lantier marié à Gervaise, fille d’Antoine Machard. Peinture d’un ménage d’ouvriers à notre époque.
Drame intime et profond de la déchéance morale et physique du travailleur parisien dans la déplorable influence du milieu des barrières et des cabarets. La sincérité seule des peintures pourra donner une grande allure à ce roman. On nous a montré jusqu’ici les ouvriers comme des soldats, sous un jour complètement faux.
Ce serait faire œuvre de courage que de dire la vérité et de réclamer, par l’exposition franche des faits, de l’air, de la lumière et de l’instruction pour les basses classes.

Un roman qui aura pour cadre le monde galant et pour héroïne Louise Lantier, la fille du ménage ouvrier. De même que le produit des Rougon, gens enfoncés dans la jouissance, est Maxime, un avorton social, de même le produit des Machard, gens gangrenés par les vices de la misère, est Louise, une créature pourrie et nuisible à la société. Outre les effets héréditaires, il y a dans les deux cas une influence fatale du milieu contemporain.
Louise est ce qu’on nomme une « biche de haute volée ».
Peinture du monde où vivent ces filles. Drame poignant d’une existence de femme perdue par l’appétit du luxe et des jouissances faciles.

Un roman qui aura pour cadre le monde artistique et pour héros Claude Lantier, autre enfant du ménage ouvrier.
Effet singulier de l’hérédité transmettant le génie à un fils de parents illettrés. Influence nerveuse de la mère. Claude a des appétits intellectuels irrésistibles et effrénés, comme certains membres de sa famille ont des appétits physiques.
La violence qu’il met à satisfaire les passions de son cerveau le frappe d’impuissance. Tableau de la fièvre d’art de l’époque, de ce qu’on appelle la décadence et qui n’est que l’activité folle des esprits. Physiologie poignante d’un tempérament d’artiste à notre époque, et drame terrible d’une intelligence qui se dévore elle-même.

Un roman qui aura pour cadre le monde judiciaire et pour héros Étienne Lantier, troisième enfant du ménage d’ouvriers. Michelet a dit : « Il faudrait que le juge fût médecin. » Étienne est un de ces cas étranges de criminels par hérédité qui, sans être fous, tuent un jour dans une crise morbide, poussés par un instinct de bête. De même que ses parents, misérables et devenus vicieux, lèguent le génie à son frère Claude, ils lui lèguent le meurtre. Il y a eu des cas récents de pareils faits. Je désire surtout écrire un roman de cours d’assises, comme je comprends ce genre, abandonné aux fournisseurs brevetés de feuilletons et dont on pourrait tirer une œuvre hautement littéraire et profondément émouvante. »

Plan de 1868-1869, publié en 1885 dans le Dictionnaire universel illustré de la France contemporaine, de Jules Lermina.

Documents préparatoires des Rougon-Macquart, NAF 10345, folio 129

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