
L’idée que Zola se fait de Paris, c’est l’idée qu’il se fait du monde civilisé.
Cette idée, dans son essence, il l’a prise à Balzac : conquérir Paris ! C’est le rêve de Rougon, de Saccard, tout comme c’était le rêve de Rastignac. À l’horizon de tous ses livres, se lève Paris, et l’oeuvre abonde en descriptions non seulement générales, mais quartier par quartier, presque rue par rue.
Si l’on se souvient de l’étalage de la ville aux yeux de Rastignac du haut des buttes du Père-Lachaise, on s’apercevra que cette vision balzacienne, Zola l’a reprise, creusée, amplifiée toujours et encore !
L’acteur principal de tout le cycle des Rougon-Macquart, c’est somme toute Paris.
On parle de la vie que l’auteur prête aux choses, à l’escalier dans Pot-Bouille, au magasin dans Le Bonheur des Dames, au Paradou dans L’Abbé Mouret, etc.
Paris, pour lui, c’est non pas la ville-lumière d’Hugo, c’est au contraire la ville-enfer.
Celui-là n’a vu dans Paris que l’intelligence, celui-ci n’y voit que l’instinct et la lutte et la passion humaine.
D’où, au lieu de lumière, une énorme ténèbre éclairée par les vices. Fièvres, rumeurs, bruits et tonnerres d’or, ruts tragiques, coups de revolver dans la nuit, sang rouge sur des meubles de soie, coussins pollués d’alcôves s’étalant, comme des ventres, sous des flambeaux, viols sur des escaliers de marbre, femmes pavoisées de leur chair ardente, hommes brutaux et pesants d’appétits, tripots sales de vin et de luxure, rues flambantes de numéros rouges, quartiers graves et solennels d’hypocrisie, tout un péché de marbre, de fer, de briques, de statues, de pavé, de squares et de jardins est ici montré, étalé, apothéosé et éclairé de génie.
Émile Verhaeren, La Nation, 12 avril 1891.