FICHE PERSONNAGE
« Âgé de deux ans de plus que Mouret. 27 ans. Grand jeune homme pâle et distingué. Bachelier. Ancien fort en thème. Noblesse de robe ruinée. A traîné à Marseille, inutile. Puis la ruine de sa famille étant complète, par des folies du père, est venu à Paris, où on lui a donné un emploi au ministère des affaires étrangères. Une mère et deux sœurs vivant mal à Aix des débris de la fortune. Lui venu à Paris après la mort du père. Las déjà. A fait un peu la vie, mais la vie sans argent. Épuisement d’une race, fin physiologique et intellectuelle. Pourtant, dans sa faiblesse, comprend qu’il est déjà fini, voit son avenir. Épousera tout de même Mlle de Boves qui est grosse mais soufflée et blanche : mauvaise chair. – Le poser en parallèle avec Octave qui s’occupe quoique bachelier, qui a consenti à être calicot, qui est l’activité moderne, en face de l’autre, le statu quo de l’éducation et de l’instruction bête. – Ne pas faire sentir la thèse, mais la mettre. – À la fin, quand madame de Boves aura volé, Paul viendra arranger l’affaire avec Octave. Embarrassé et le finir là : il épousera tout de même. Montrer les deux jeunes gens l’un devant l’autre, à ce dénouement. – Ni la fille ni le père ne sauront le vol : la petite fille peut-être pourtant. »
Documents préparatoires du Bonheur des Dames, NAF 10278, f° 142-143
BIOGRAPHIE
Un ancien camarade de collège d’Octave Mouret, à Plassans. Grand garçon pâle, d’une pauvreté de sang distinguée. Dernier rejeton d’une vieille famille parlementaire, de petite noblesse ruinée et boudeuse, il a été un fort en thème, toujours premier, donné en continuel exemple par le professeur, qui lui prédisait le plus bel avenir, tandis qu’Octave, à la queue de la classe, pourrissait parmi les cancres, heureux et gras, se dépensant au dehors en plaisirs violents. L’histoire de Paul est celle des garçons pauvres, qui croient devoir à leur naissance de rester dans les professions libérales, et qui s’enterrent au fond d’une médiocrité vaniteuse, heureux encore quand ils ne crèvent pas la faim, avec des diplômes plein leurs tiroirs. Lui, a fait son droit par tradition de famille et est venu occuper une petite place au ministère de l’intérieur, où il se tient enfoui, comme une taupe dans un trou ; il y gagne trois mille francs.
Devant les ardeurs du passionné Octave Mouret, il prend une pose de fatigue et de dédain, mélange d’affectation et de réel épuisement de race : la vie ne vaut pas tant de peine, rien n’est drôle, tout arrive et rien n’arrive, autant rester les bras croisés. Un moment, il a rêvé de littérature, et il lui est resté de sa fréquentation avec des poètes une désespérance universelle ; toujours, il conclut à l’inutilité de l’effort, à l’ennui des heures également vides, à la bêtise finale du monde. Cet ami du néant ne consent pas à s’étonner devant les magnificences du Bonheur des Dames, car après tout, pense-t-il dans sa nonchalance de pessimiste, ce n’est jamais que beaucoup de calicot à la fois.
Il met une sorte de fanfaronnade dans l’immobilité de son existence, toutes les jouissances ratent, vivre est inepte et, si l’on ne se tue pas, c’est par simple paresse, pour éviter de se déranger ; au fond, il n’y a peut-être que le mal qui soit un peu drôle. Pourtant, devenu le mari de Blanche de Boves, qu’il a épousée sans emballement, pour être agréable au père, il éprouve une rude secousse devant la comtesse, surprise en flagrant délit de vol. Cette révélation le fait pleurer, il ne peut rattraper sa philosophie compromise, toute son éducation bourgeoise renaît en indignations vertueuses contre sa belle-mère ; et c’est en vain qu’Octave Mouret lui rappelle ses anciennes maximes : dès que l’expérience est tombée sur lui, au moindre effleurement de la misère humaine, dont il ricanait à froid, le sceptique fanfaron s’est abattu et a saigné.
(Au Bonheur des Dames)