FICHE PERSONNAGE
« Brune charmante, 22 ans. Le bonnet sur le bout du chignon. Entretient un homme, un beau de la Halle qui est censé faire quelque chose. Elle en est battue, ce qui ne l’empêche pas de le tromper avec bien du monde. »
Documents préparatoires du Ventre de Paris, Ms NAF 10338, f° 104.
BIOGRAPHIE
Nièce de madame Lecœur et de feue madame Gavard. Marchande de fruits aux Halles. Adorable petite femme brune, à voix douée et lente, riant toujours, montrant ses dents ; elle a un fichu rouge mal attaché qui laisse voir une ligne blanche de sa gorge au milieu. Envoyée de la campagne par sa mère, madame Sarriet, elle a grandi près de sa tante Lecœur, au milieu des Halles. Populacière, avec son visage pâle de vierge brune, elle a dédaigné les messieurs qui venaient acheter des fromages uniquement pour la voir, et elle a choisi le beau Jules, un porteur des Halles, qui, avant ainsi la chance de posséder une petite femme qui travaille pour deux, se livre aux douceurs de l’oisiveté. Ils habitent ensemble rue Vauvilliers. Les aventures de Gavard font cesser une brouille survenue entre la nièce et, la tante, mais pendant que celle-ci prend la vie au tragique, l’amie de Jules reste amusée de tout, ravie devant les affolants potins de la Saget. Pris dans une souricière de police, sous les yeux de sa nièce qui pourrait le sauver d’un mot, Gavard lui a remis une clé de son appartement, l’autorisant à prendre l’or si elle brûle les papiers politiques. L’insouciante Sarriette, dominée par sa tante, partage avec elle les dix mille francs de l’armoire et néglige de faire disparaître les pamphlets et caricatures, qui vont être contre Gavard une charge écrasante.
(Le Ventre de Paris)
PORTRAIT
La Sarriette vivait là, comme dans un verger, avec des griseries d’odeurs. Les fruits à bas prix, les cerises, les prunes, les fraises, entassés devant elle sur des paniers plats, garnis de papier, se meurtrissaient, tachaient l’étalage de jus, d’un jus fort qui fumait dans la chaleur. Elle sentait aussi la tête lui tourner, en juillet, par les après-midi brûlantes, lorsque les melons l’entouraient d’une puissante vapeur de musc. Alors, ivre, montrant plus de chair sous son fichu, à peine mûre et toute fraîche de printemps, elle tentait la bouche, elle inspirait des envies de maraude. C’était elle, c’étaient ses bras, c’était son cou, qui donnaient à ses fruits cette vie amoureuse, cette tiédeur satinée de femme. Sur le banc de vente, à côté, une vieille marchande, une ivrognesse affreuse, n’étalait que des pommes ridées, des poires pendantes comme des seins vides, des abricots cadavéreux, d’un jaune infâme de sorcière. Mais, elle, faisait de son étalage une grande volupté nue. Ses lèvres avaient posé là une à une les cerises, des baisers rouges ; elle laissait tomber de son corsage les pêches soyeuses ; elle fournissait aux prunes sa peau la plus tendre, la peau de ses tempes, celle de son menton, celles des coins de sa bouche ; elle laissait couler un peu de son sang rouge dans les veines des groseilles. Ses ardeurs de belle fille mettaient en rut ces fruits de la terre, toutes ces semences, dont les amours s’achevaient sur un lit de feuilles, au fond des alcôves tendues de mousse des petits paniers. Derrière sa boutique, l’allée aux fleurs avait une senteur fade, auprès de l’arôme de vie qui sortait de ses corbeilles entamées et de ses vêtements défaits.
(Le Ventre de Paris, chapitre V)