GÉNÉALOGIE
Née en 1853, ne s’est pas mariée. Vit encore à Bonneville.
– Mélange équilibre. Ressemblance physique et morale du père et de la mère. État d’honnêteté.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart – 1878 et 1893)
FICHE PERSONNAGE
« Née en 1852, de Quenu et Lisa Macquart. Mélange fusion. Ressemblance physique et morale du père et de la mère. – À neuf ans, je la fais devenir orpheline, en 1860, et je l’amène jusqu’à vingt-cinq ans, en trichant, jusqu’en 1876. – D’abord, c’est une grosse enfant, visage empâté, brune de cheveux, les yeux noirs, blanche d’un blanc de graisse, boutique enfermée de Paris, grosses lèvres, un visage bon, les traits doux et paisibles, grave avec de rares sourires. Plus tard, à l’air de la mer, elle se désempâtera, prendra de la force, deviendra belle, la beauté sera sur sa figure, d’une beauté forte et un peu carrée : toujours équilibrée. Il ne faut pas que sa beauté soit éclatante ; simplement une figure régulière, très calme et qu’on arrive à aimer, quand on en a pénétré la santé heureuse. Pas charnelle, ardente pourtant sous le calme.
Comme nature morale, un équilibre parfait, qui vient de l’équilibre du sang et des nerfs. Pourtant anomalies avec crises de violence. La vie prise avec santé et netteté. Pas de peur de l’au-delà, pas de trouble nerveux ; plutôt sanguine. Le bien naturellement comme un produit ; aucun désir trop vif, aucun regret troublant. Allant droit devant elle et aimant le sacrifice. – Une nature de garde-malade et de consolatrice. – Mais troublée dans son abnégation par des bouffées de jalousie, terribles chez l’enfant, et qui s’affaiblissent peu à peu chez la femme, à mesure qu’elle se combat. C’est chez elle un désir d’être aimée, un besoin de recevoir ce qu’elle donne : plus tard, elle en arrivera au don complet de son être sans même espoir de retour, ce qui est le point extrême de l’abnégation et du sacrifice. C’est cette jalousie qui anime la figure, et la fait lutter, la tire du calme plat de la bonté continue.
En somme, Pauline est la bonté, la patience qui combat la douleur. La bonté doit surtout être sa caractéristique. C’est par bonté qu’elle se donne de plus en plus aux autres. »
Documents préparatoires de La Joie de vivre, NAF 10311, f° 227-229.
« 20 ans. Son cousin Lazare est devenu veuf, et est allé chercher fortune ailleurs. Elle a gardé l’enfant et l’élève. Il n’est pas question de mariage pour elle. Pourtant ne pas conclure. – L’enfant est en dehors de la série. »
Documents préparatoires du Docteur Pascal, NAF 10290, f° 132.
BIOGRAPHIE
Fille de Lisa Macquart et de Quenu, née en 1853. À cinq ans, c’est une superbe enfant, ayant une grosse figure ronde. Pauline est la fidèle amie du chien Mouton. Elle écoute avec bonheur les terribles histoires de son oncle Florent. (Le Ventre de Paris)
Elle est orpheline à dix ans. Son père a choisi le cousin Chanteau comme tuteur. Madame Chanteau vient la chercher à Paris et l’emmène à Bonneville. On a désigné, pour être subrogé tuteur, un parent de Lisa, Aristide Saccard. La fortune s’élève à cent cinquante mille francs.
Pauline, très forte pour ses dix ans, a les lèvres grosses, la figure pleine et blanche, de cette blancheur des fillettes élevées dans les arrière-boutiques de Paris, grands yeux, cheveux châtains. Elle a une grâce de petite Parisienne. Vaillante et douée, elle fait aussitôt la conquête de la maison, du chien Mathieu, de la chatte Minouche, de tout le monde, sauf de la servante Véronique, restée glacée et jalouse. Image physique de son père et de sa mère, parfaitement équilibrée, Pauline est bonne, d’une bonté infinie, avec un perpétuel besoin de dévouement. Elle a pourtant des colères soudaines, des violences jalouses venues de quelque aïeul maternel et un fond d’avarice héréditaire, le respect de l’argent, la peur d’en manquer. Ces traits rendent plus douloureux et plus méritoires les perpétuels sacrifices de Pauline, qui luttera contre ses instincts, coupera les liens de son égoïsme, souffrira et se dépouillera victorieusement pour les autres.
Elle fait sa première communion à douze ans et demi. La grande simplicité du curé l’a charmée et elle a communié d’un air très sérieux. Plus tard, rebutée par les questions et les commentaires lourdauds de l’abbé Horteur, elle cesse d’aller au confessionnal et ne retourne à la messe que pour ne pas chagriner sa tante. Aucune religiosité dans ses instincts de charité active.
Formée avant quatorze ans, curieuse de la révolution qui s’opère en elle, n’obtenant de madame Chanteau aucune explication intelligible, elle se plonge dans la lecture d’ouvrages de médecine trouvés au fond d’une armoire et apprend, comme dans un devoir, ce que l’on cache aux vierges jusqu’à la nuit des noces. Elle est sauvée des idées charnelles par son amour de la santé. Après l’Anatomie descriptive et le Traité de physiologie, elle a trouvé un Manuel de pathologie et elle sort de cette étude, pourtant rudimentaire, brisée de pitié, faisant le rêve de tout connaître afin de tout guérir.
En moins d’une année, elle est devenue une jeune fille déjà robuste, les hanches solides, la poitrine large. Elle va avoir seize ans, lorsque commencent les manœuvres de madame Chanteau sur sa fortune. C’est d’abord trente mille francs pour la création de l’usine rêvée par Lazare, puis dix mille francs pour la marche de l’affaire, d’autres sommes, des prélèvements continus pour les besoins du ménage, tombé dans la gêne. Lorsque Pauline a dix-sept ans, on lui a déjà mangé près de cent mille francs. Ce gaspillage a été facilité par l’amour de la jeune fille pour Lazare, par son ardent désir de le jeter dans l’action. Pour couvrir leur responsabilité, les Chanteau font émanciper leur pupille à dix-huit ans et l’argent continue à couler.
C’est maintenant l’exploitation réglée par petites sommes, Pauline consent à tout, le chiffre de sa pension est augmenté, puis c’est douze mille francs pour l’estacade, dix mille francs pour réparer la maison qui tombe en ruine. L’héritière des Quenu a depuis longtemps vaincu ses instincts d’avarice ; elle répand des aumônes dans le village, parmi tout un petit monde de souffrants qui hurlent leur douleur ; elle s’ingénie à rendre la maison heureuse. Pitoyable dès l’origine, elle a été pour Chanteau une précieuse garde-malade, ne se rebutant de rien, soignant le vieux bougon jour et nuit. À madame Chanteau qui, jusque dans l’agonie, l’injuriait et l’accusait de l’empoisonner, elle a doucement fermé les yeux. Elle sacrifie tout à Lazare, sourde aux remontrances du clairvoyant Cazenove, et, par un admirable oubli de soi, lorsqu’elle pense que son cousin aime Louise Thibaudier, elle dissimule son propre amour et, malgré la révolte de sa puberté féconde, accomplit le suprême sacrifice de donner l’un à l’autre les deux amoureux. La servante Véronique, dont elle a fait enfin la conquête, l’a définie très justement : « Misère ! a-t-elle dit, il y en a qui sont nés pour être mangés par les autres ».
À ce moment, la fortune de la jeune fille est réduite à quarante mille francs. Fidèle à tous, trompée par tous, Pauline s’est décidée à quitter Bonneville, mais les souffrances ambiantes l’y retiennent. Toujours saine et toujours pondérée à travers une existence de douleurs, elle reste là, son invincible bonté de vierge qui sait et qui accepte la vie la cloue à cette maison où elle a gaiement sacrifié sa fortune, son cœur, sa jeunesse. Elle achève de se dépouiller en employant les deux tiers de ce qui lui reste à une assurance de cent mille francs sur son filleul, l’enfant de Lazare, elle n’a plus que cinq cents francs de rente, elle consacre vaillamment son existence à cet enfant qu’on a laissé pour mort lorsqu’il est né et qui est bien devenu sien, car il ne respirait pas, le médecin l’avait abandonné, et elle l’a fait renaître en insufflant la vie dans ses poumons inertes.
(La Joie de vivre)
Après la mort de Chanteau, elle reste à Bonneville, en face du vaste océan, toujours gaie dans son coin de morne solitude, résolue à ne pas se marier, à se donner toute au petit Paul.
(Le Docteur Pascal)
PAULINE ENFANT
« Pauline, qui étrennait justement ce jour-là une robe neuve, à raies bleues, avait voulu la montrer. Elle se tenait toute droite, devant la boutique, bien sage, les lèvres pincées par cette moue grave d’une petite femme de six ans qui craint de se salir. Ses jupes, très courtes, très empesées, bouffaient comme des jupes de danseuse, montrant ses bas blancs bien tirés, ses bottines vernies, d’un bleu d’azur ; tandis que son grand tablier, qui la décolletait, avait, aux épaules, un étroit volant brodé, d’où ses bras, adorables d’enfance, sortaient nus et roses. Elle portait des boutons de turquoise aux oreilles, une jeannette au cou, un ruban de velours bleu dans les cheveux, très bien peignée, avec l’air gras et tendre de sa mère, la grâce parisienne d’une poupée neuve. »
Le Ventre de Paris, chapitre V.