GÉNÉALOGIE

– (Anna Lantier). élection du père avec ressemblance physique de la mère, puis du père. Hérédité du vice.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart – 1869 n°1)

– (Louise Lantier). Élection du père, avec ressemblance physique de la mère, puis du père. Hérédité des vices.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart – 1869 n°2)

– Mélange soudure. Prépondérance morale du père, et ressemblance physique de la mère, Hérédité de l’ivrognerie se tournant en hystérie.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart – 1878)

– Mélange soudure. Prédominance morale du père. Ressemblance physique, par influence, avec le premier amant de sa mère, Lantier. Hérédité de l’alcoolisme se tournant en perversion morale et physique.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart – 1893)

FICHE PERSONNAGE

« Elle naît dans les premiers mois de 51. Elle ne me sert que vers quatorze ans, quand elle commence à se promener en cheveux, avec un ruban bleu dans les cheveux, cela ne se passe qu’en 1865. Auparavant, dans la boutique, la mauvaise éducation. C’est en 1866 que je place son épisode, quand la débâcle est venue. Ce sera, d’ailleurs, vers cette époque, que je placerai les morceaux importants du livre. Elle est très jolie, blonde ; l’ouvrière parisienne jusqu’aux moelles, se perdant dans le débâcle de la famille ; mauvaise éducation, battue par le père et défendue par la mère, et vice-versa. À la fin, entretenue. »
Documents préparatoires de L’Assommoir, NAF 10271, f°123-124.

« Née en 51. En 67, fin d’année (décembre) elle a dix-sept ans. Mais elle est très forte, on lui donnerait au moins vingt ans. Blonde, rose, figure parisienne, très éveillée, le nez légèrement retroussé, la bouche petite et rieuse, un petit trou au menton, les yeux bleus très clairs, avec des cils d’or. Quelques taches de son qui reviennent l’été, mais très rares, cinq ou six sur chaque tempe comme des parcelles d’or. La nuque ambrée, avec un fouillis de petits cheveux. Sentant la femme, très femme. Un duvet léger sur les joues.
Il faudra raconter sa vie antérieure. Voir L’Assommoir pour toute la première période. […]
Comme caractère moral : bonne fille, c’est ce qui domine tout. Obéissant à sa nature, mais ne faisant jamais le mal pour le mal, et s’apitoyant. Tête d’oiseau, cervelle toujours en mouvement, avec les caprices les plus baroques. Demain n’existe pas. Très rieuse, très gaie. Superstitieuse, avec la peur du bon Dieu. Aimant les bêtes et ses parents. Dans les premiers temps, très lâchée, grossière ; puis faisant la dame et s’observant beaucoup. – Avec cela, finissant par considérer l’homme comme une matière à exploiter, devenant une force de la nature, un ferment de destruction, mais cela sans le vouloir, par son sexe seul et par sa puissante odeur de femme, détruisant tout ce qu’elle approche, faisant tourner la société comme les femmes qui ont leurs règles font tourner le lait. Le cul dans toute sa puissance, le cul sur un autel et tous sacrifiant devant. Il faut que le livre soit le poème du cul, et la moralité sera le cul faisant tout tourner. […] En un mot, la vraie fille Ne pas la faire spirituelle, ce qui serait une faute ; elle n’est que la chair, mais la chair avec toute sa grâce. Et bonne fille, je le répète.
Des hauts et des bas. À la fin, il faut qu’elle meure en pleine jeunesse, en plein triomphe.
La question d’hérédité chez Nana. Une expression extrême des Rougon-Macquart. Le produit de Gervaise et d’un alcoolisé, Coupeau. »
Documents préparatoires de Nana, NAF 10313, f° 191-193.

BIOGRAPHIE

Fille de Gervaise Macquart et de Coupeau. Mère de Louis Coupeau dit Louiset. Née à Paris, rue Neuve de la Goutte-d’Or, le 30 avril 1852. On l’appelle Nana à cause de son prénom d’Anna qu’elle tient de sa marraine, madame Lorilleux. À six ans, elle va dans une petite pension rue Polonceau ; c’est déjà une vaurienne finie, insupportable en classe ; elle règne sur tous les galopins du quartier et grandit sous les mauvais exemples du ménage, le père ivrogne, la mère se partageant entre Coupeau et Lantier. À treize ans, déjà remplie de vice, elle fait sa première communion et entre comme apprentie fleuriste dans un atelier de la rue du Caire où s’achève sa démoralisation. Elle n’a aucun goût pour le travail, est mal embouchée, méprise profondément ses parents et se galvaude dans le quartier. Ouvrière, elle gagne deux francs par jour ; c’est déjà une belle fille blonde, très blanche de chair, très grasse, très dodue ; elle a une peau veloutée de pêche, un nez drôle, un bec rose, des yeux luisants. Devenue très coquette, elle se fait suivre par un vieux roquentin, fabricant de boutons en os boulevard de la Villette et, comme l’existence est devenue impossible chez les Coupeau, elle lâche définitivement l’atelier et file un beau jour avec son vieux. Retrouvée dans un bastringue, elle rentre pour quelques jours à la maison, puis elle disparaît définitivement, ayant eu la chance de rencontrer un vicomte qui l’a mise dans la soie.
(L’Assommoir)

À seize ans, elle a eu un enfant de père inconnu, Louiset, un enfant chétif qui lui inspire des crises d’amour maternel. À dix-huit ans, elle est très grande et très forte, elle a une petite bouche rouge, un adorable trou au menton et des grands yeux d’un bleu très clair. Un riche marchand de Moscou, venu passer un hiver à Paris, l’a installée dans un appartement du boulevard Haussmann, entre la rue de l’Arcade et la rue Pasquier. Elle vit là en fille lâchée trop tôt par un premier monsieur sérieux, retombée à des amants louches, tout un début difficile, un départ manqué. Deux hommes payent, un commerçant du faubourg Saint-Denis, de tempérament économe, qu’elle appelle le vieux grigou, et un Valaque, un prétendu comte, qu’elle appelle le moricaud ; tous deux sont trompés pour un amant de cœur, Daguenet, son Mimi.

Bordenave, directeur des Variétés, toujours à l’affût des belles filles, a l’idée de la lancer dans une pièce, la Blonde Vénus, où elle n’aura qu’à se montrer pour vaincre. Malgré sa voix faubourienne et son ignorance des planches, elle dégage une odeur de vie, une toute-puissance de femme dont le public va se griser. Par la simple exhibition de son éclatante beauté blonde, Nana obtient un succès étourdissant, c’est le lançage immédiat ; toute une meute d’hommes, affolée par le rut qui monte d’elle, l’a suivie à la trace ; sûre désormais de l’avenir, elle pourra choisir ses amants, chasser le vieux grigou et le moricaud, dédaigner Steiner, tenir la dragée haute à Muffat ; un héritier royal, le prince d’Écosse, traversera le détroit pour lui offrir ses hommages.

L’histoire de son existence va se trouver tout entière dans une chronique de Fauchery, intitulée la Mouche d’Or. C’est l’histoire d’une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transforme chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme ; elle a poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’un plante de plein fumier, elle venge les gueux et les abandonnés dont elle est le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laisse fermenter dans le peuple, remonte et pourrit l’aristocratie ; elle devient une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait ; et c’est à la fin de l’article que se trouve la comparaison de la mouche, une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure, une mouche qui prend la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, empoisonne les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais ou elle entre par les fenêtres.

Toujours convaincue de sa supériorité sur les honnêtes gens qui l’assomment, Nana fait le mal avec une inconscience parfaite. Le petit Georges Hugon l’amuse, elle le traite en gamin, ne prenant pas ses déclarations au sérieux, s’amusant de lui comme d’un petit homme sans conséquence ; par une fantaisie de fille sentimentale, elle lui cède ; elle cède aussi au frère de Georges, le lieutenant Philippe Hugon, un robuste garçon qui lui plaît. Et cette double liaison se dénoue tragiquement, dans la honte et la mort, sans que Nana soupçonne un instant sa propre culpabilité. Une fugue a traversé sa liaison avec Muffat : elle a disparu pour vivre avec l’acteur Fontan qui la bat, l’exploite et la rejette dans la crotte du début. Mais après ce coup de tête, Nana redevient une femme chic, rentière delà bêtise et de l’ordure des mâles, marquise des hauts trottoirs. C’est une ascension brusque et définitive, un train qui dépasse trois cent mille francs par an, un appétit de dépenses toujours éveillé, un dédain naturel de l’homme qui paye, un continuel caprice de mangeuse et de gâcheuse, fière de la ruine de ses amants. Elle jure fidélité à Muffat, ce qui ne l’empêche pas de céder à Vandeuvres, non par toquade, mais pour se prouver qu’elle est libre. Nana ne sait pas se refuser ; elle se donne aux amis, aux passants, en bonne bête née pour vivre sans chemise. Comme elle a, dans son gaspillage effréné, de continuels besoins d’argent, elle s’en tire par des visites à la Tricon, elle va chez l’entremetteuse avec l’aisance de l’habitude, comme les pauvres gens vont au Mont-de-piété.

Dans son luxe, elle s’ennuie à crever. Une ancienne amie de pension, avec qui elle a battu le pavé, la petite Satin, devient son vice ; elle la dispute à madame Robert et finit par l’accaparer, l’imposant à Muffat et aux autres ; et Satin règne avec elle, dans le tranquille abus de leur sexe et leur mépris avoué de l’homme.

Nana est avant tout une brave fille ; le chagrin autour d’elle la fait souffrir ; si elle a été trop dure pour ses domestiques, elle leur présente des excuses. Quant aux gens chics, ils ne l’épatent plus, saleté en haut, saleté en bas, c’est toujours saleté et compagnie. Son bonheur semble être d’avilir Muffat, de le jeter à la boue. Elle lui a imposé Daguenet pour gendre ; de Muffat elle a fait « petit mufe » et c’est ainsi qu’elle le nomme ; elle lui prêche des complaisances, d’accord en ceci avec le doux Venot ; elle le décide à renouer avec sa femme qui le trompe. Et les catastrophes qui l’entourent, Vandeuvres flambé dans son écurie, Foucarmont perdu dans les mers de la Chine, Steiner dépouillé et réduit à vivre en honnête homme, les Muffat effondrés, l’imbécile La Faloise à la côte, le blanc cadavre de Georges, que garde Philippe sorti la veille de prison, tous ces malheurs, ce peuple abattu à ses pieds, la laissent insensible. Elle conserve son inconscience de bête superbe, ignorante de sa besogne, restée grosse, restée grasse, d’une belle santé, d’une belle gaieté.

Maintenant, son œuvre de ruine et de mort est faite, la mouche envolée de l’ordure des faubourgs, apportant le ferment des pourritures sociales, a empoisonné ces hommes rien qu’à se poser sur eux. Et Nana va mourir en bête putréfiée. Après une retentissante exhibition au théâtre de la Gaîté, dans Mélusine, où Bordenave lui a ménagé trois poses plastiques, où Paris l’a revue dans toute sa gloire, elle est allée en Orient, de prodigieuses légendes ont circulé, la conquête d’un vice-roi, une colossale fortune faite en Russie ; puis elle revient, elle retrouve chez sa tante, madame Lerat, le petit Louiset atteint de la variole, la contagion s’abat sur elle et, secourue par Rose Mignon, elle va mourir dans une chambre du Grand-Hôtel, formant là un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue.
(Nana)

PORTRAIT

Nana ne bougea plus. Un bras derrière la nuque, une main prise dans l’autre, elle renversait la tête, les coudes écartés. Il voyait en raccourci ses yeux demi-clos, sa bouche entr’ouverte, son visage noyé d’un rire amoureux ; et, par derrière, son chignon de cheveux jaunes dénoué lui couvrait le dos d’un poil de lionne. Ployée et le flanc tendu, elle montrait les reins solides, la gorge dure d’une guerrière, aux muscles forts sous le grain satiné de la peau. Une ligne fine, à peine ondée par l’épaule et la hanche, filait d’un de ses coudes à son pied. Muffat suivait ce profil si tendre, ces fuites de chair blonde se noyant dans des lueurs dorées, ces rondeurs où la flamme des bougies mettait des reflets de soie. Il songeait à son ancienne horreur de la femme, au monstre de l’Écriture, lubrique, sentant le fauve. Nana était toute velue, un duvet de rousse faisait de son corps un velours ; tandis que, dans sa croupe et ses cuisses de cavale, dans les renflements charnus creusés de plis profonds, qui donnaient au sexe le voile troublant de leur ombre, il y avait de la bête. C’était la bête d’or, inconsciente comme une force, et dont l’odeur seule gâtait le monde.

(Nana, chapitre VII)

NANA (Pouliche)

Pouliche de l’écurie Vandeuvres. C’est pour faire honneur à l’actrice des Variétés qu’on a donné à ce pur-sang le nom de Nana. La pouliche est d’une blondeur de fille rousse ; elle luit à la lumière comme un louis neuf, la poitrine profonde, la tête et l’encolure légères, dans l’élancement nerveux et fin de la longue échine. Battue honteusement dans le prix de Diane, non placée en avril en courant le prix Des Cars et la Grande Poule des Produits, Nana montée par Priée est l’outsider du Grand Prix de Paris. Le succès frauduleux de la pouliche amène la disqualification de son propriétaire.
(Nana)

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