FICHE PERSONNAGE
« Françoise Fouan, femme Lantier. Un combat chez elle. 14 ans en 59, vingt-quatre en 70. Née en 45, quatorze ans de moins que son mari. Plus petite que sa sœur, mais lui ressemblant, pour l’éclat, le bruit, la gaieté. Plus jolie d’abord, les traits réguliers. Yeux magnifiques, grands, profonds, bruns. Elle brune, lèvres fortes, un nez droit, sous un front petit très bas, face allongée, petite gorge dure, yeux noirs très profonds. Léger duvet aux lèvres dès la puberté. Femme de bonne heure. Hâlée, dorée déjà. Passionnante, grisante, comme la terre, [pour] ceux qui l’approchent. [des mots surchargés].
Idées honnêtes, relativement. N’aime pas Jean, mais l’épouse tout de même. Puis attirée vers Buteau, malgré sa colère. Comment elle se défend contre lui, et se laisse vaincre, sans rien dire. Puis, sa révolte exaspérée, dans un ébranlement ; et sa mort, ses dernières paroles à Jean, où elle se confesse (?). Elle meurt grosse, ce qui sera plus dramatique. Je l’ai dit fertile, il vaudrait peut-être mieux alors que Buteau n’ait pas pu la prendre. […]
Je suis toujours mécontent de ma Françoise. – J’aurais voulu pour ma Françoise une fille sympathique. Il est déjà bon de ne pas la faire prendre par Buteau (tentative simplement). Mais cela la laisse encore vague, et je la voudrais très nette, très simple. D’abord jeune, sachant tout comme les filles des champs, mais sans perversité, humaine, instinctive. Honnête, idée de l’honnêteté, de la justice, simple et directe. Colère, ce qui est un signe de la famille. Je puis faire que l’idée de l’injustice la révolte, surtout dans la propriété, dans ce qui est à elle. Elle s’enflamme, et se passionne alors : ce qui peut être la dominante de son caractère, et l’expliquer toute entière, d’autant plus que c’est aussi une forme d’amour de la terre, la distinction du tien et du [un feuillet manquant]
Si cela ne me la donne pas sympathique dans le sens romanesque du mot, cela me la donne vivante et je n’en veux pas davantage. La faire très charnelle, très vivante, très simple, très près de la terre, très admirable et très désirable dans son instinct. »
Documents préparatoires de La Terre, NAF 10329, f° 49-55.
BIOGRAPHIE
Fille cadette de Michel Fouan, dit Mouche. Orpheline à quinze ans. Elle a une petite gorge dure qui se forme, une face allongée aux yeux noirs très profonds, aux lèvres épaisses, d’une chair fraîche et rose de fruit mûrissant. La peau est très brune, hâlée et dorée du soleil. Le grand air et les durs travaux n’ont pas eu le temps de l’enlaidir. Françoise a le renom d’une fameuse tête, l’injustice l’exaspère ; quand elle a dit : ça c’est à moi, ça c’est à toi, elle n’en démordrait pas sous le couteau. Raisonnable, très sage, sans vilaines pensées, seulement tourmentée par un sang hâtif, elle a été élevée par Lise, leur mère étant morte, et c’est une adoration entre les deux sœurs, on les rencontre toujours ensemble.
Lorsque Buteau a abandonné Lise, dont il était l’amant, Françoise a éprouvé une grande antipathie pour lui, elle a été soulevée par une de ses révoltes d’honnêteté, comme si elle avait à venger un dommage personnel. Puis, lorsque Buteau a réparé sa faute par un mariage, il a semblé à Françoise qu’on lui prenait sa sœur ; puisque celle-ci est maintenant à un autre, elle la lui laisse. Au fond, elle désire Buteau sans le savoir ; sa colère n’est que de la jalousie inconsciente ; mais uniquement préoccupée du tien et du mien, elle mourrait plutôt que de partager. Le désaccord s’est accentué entre les deux sœurs. Bateau, qui les a désunies, rêve de les posséder toutes deux, d’être l’amant de sa belle-sœur pour garder tout le bien. Et c’est une longue lutte entre lui et Françoise, celle-ci résistant à ses attaques brutales, faisant tête avec une sorte de rage, allant jusqu’à se réfugier dans un mariage avec Jean Macquart, qui l’a possédée par surprise et qu’elle n’aime pas, car elle le considère comme un ami très âgé et bonhomme.
Devenu son mari, Jean n’est pour elle qu’un étranger, elle se sent bouleversée à chaque rencontre avec Buteau et lorsque enfin, à vingt-trois ans, enceinte de cinq mois, presque consentante au viol, elle subit l’étreinte du mâle si longtemps repoussé, elle est emportée dans un spasme de bonheur aigu, elle serre Buteau à l’étouffer, en poussant un grand cri. La mort vient alors, dans un meurtre lâchement conçu par Lise, et, gisante, le flanc troué, assassinée par les siens, Françoise conserve dans l’agonie son profond sentiment de la famille, plus fort que le besoin de vengeance. Dans son idée puérile et têtue de la justice, elle ne veut pas laisser la terre, la maison, à son mari, à l’homme venu d’ailleurs et qui n’a fait que traverser son existence, en passant. Elle meurt silencieuse, ainsi qu’une bête terrée au fond de son trou.
(La Terre)