FICHE PERSONNAGE
« Quarante-huit ans. Ancien employé de la Cie, surveillant, quelque chose au jour. Il s’est établi marchand de tout, d’épicerie, de poterie, de mercerie, un bazar, et même boulanger, avec l’appui de la Cie. Et il a ainsi tué tous les petits détaillants de Montsou. Marchiennes est à deux lieues, on n’y va guère. Il est donc le maître, fait des crédits plus longs, vend même un peu meilleur marché. Seulement, il est dans la main de la Cie, et il peut refuser le crédit au moment d’une grève. Dans la main de la Cie parce que celle-ci lui a donné un local vaste pour ses magasins, et répond des ouvriers, c’est-à-dire lui assure un acompte par mois sur les crédits. Enfin, un instrument qui peut affamer à tout moment.
Un gros homme poli et froid, ne se laissant jamais attendrir. Est marié à une femme silencieuse qui tient les comptes, mais qui ne se mêle pas du commerce.
Quand la grève éclate, ordre de la Cie de cesser tout crédit. Des scènes.
Parmi les petits détaillants qu’il a tués, deux boulangers : Carouble et Smelten, et un épicier, Verdonck. Ceux-ci, pendant la grève, donnent un instant du pain à crédit, puis effrayés, terrorisés, cessent. – Également, refus de crédit à Marchiennes, où les mineurs sont mal vus. »
Documents préparatoires de Germinal, NAF 10308, f° 89-90.
BIOGRAPHIE
Le principal débitant de Montsou. Ancien surveillant du Voreux, il avait débuté par une étroite cantine ; puis, grâce à la protection des chefs, son commerce s’est élargi, tuant peu à peu le détail. Il centralise les marchandises, la clientèle considérable des corons lui permet de vendre moins cher et de faire des crédits plus grands. D’ailleurs, il est resté dans la main de la Compagnie, qui lui a bâti sa petite maison et son magasin, séparés par un simple mur de l’hôtel du directeur Hennebeau. Maigrat possède là un entrepôt, un long bâtiment qui s’ouvre sur la route, en une boutique sans devanture ; il y tient de tout, de l’épicerie, de la charcuterie, de la fruiterie, y vend du pain, de la bière, des casseroles.
Gros, froid et poli, autoritaire et rapace, il accorde difficilement une prolongation de crédit, mais comme il a du goût pour les hercheuses, un mineur qui veut l’attendrir n’a qu’à lui envoyer sa femme ou sa fille, laides ou belles, pourvu qu’elles soient complaisantes. Pendant la grève, il a mis les femmes en fureur par sa grossièreté et son entêtement à refuser toute fourniture sans argent comptant ; s’il affame l’ouvrier, c’est pour répondre au désir des chefs, pressés d’en finir, mais il a ainsi attiré sur sa maison bondée de vivres la colère des ventres creux et c’est là, devant la porte close, que s’acharnent les grévistes en criant : « Du pain ! II y a du pain là-dedans! Foutons la baraque à Maigrat par terre !» L’assiégé pourrait fuir, il revient, au contraire, car en lui l’avarice est plus forte que la lâcheté ; il veut défendre son bien et va gagner son magasin par le toit, lorsque, tremblant de peur, il glisse le long des tuiles et vient s’écraser le crâne à l’angle d’une borne.
Alors, les femmes, prises de l’ivresse du sang, entourent le cadavre encore chaud, elles l’insultent avec des rires, hurlant à la face du mort la longue rancune de leur vie sans pain ; la Maheude lui emplit la bouche de deux poignées de terre, il ne mangera plus autre chose maintenant ; le Brûlé le coupe comme un matou, vengeant toutes celles qui ont souffert de sa bestialité. Et l’abominable trophée, le paquet de chair velue et sanglante, est planté au bout d’un bâton et promené dans Montsou, ainsi qu’un drapeau.
(Germinal)