FICHE PERSONNAGE
« 42 ans. Mineur, haveur, piqueur à la veine (choisir le terme). De moyenne taille, gros membres, sans que la carcasse soit puissante. La tête assez grosse. Cheveux courts, jaunes, décolorés. Le cou court. Yeux bleus. D’apparence calme, solide. Les traits gros, un peu boursouflés, immobiles. Rasé, ne portant que la moustache et un bouquet de poils au menton. Le teint blafard des mineurs, sans excès. On sent les os de la charpente. Un roulis de matelot quand il marche. Les mains grasses et très endommagées, un doigt de moins à la main gauche, emporté dans un accident. – L’oreille coupée aussi, l’oreille droite. Quand il est nu, la poitrine tatouée par le charbon, qui a pénétré dans des entailles. Mais la peau extrêmement blanche, une peau de femme, rose, éclatante, dont il est fier, qu’il montre volontiers.
Il appartient à une famille de mineurs de père en fils. Son père a été tué à la mine. Il y travaille lui-même depuis trente ans. Ne sait ni écrire, ni lire. Fait une croix pour signer. Est descendu dans la fosse à dix ans ; puis la tête très dure, a oublié le peu qu’on lui avait appris, à grand peine. – A su ses lettres, mais les a oubliées. – Au demeurant, d’un esprit juste et raisonnable ; accepte les nécessités, est calme, un peu mou peut-être, s’est déchargé sur sa femme du soin de penser. Bon ouvrier, fait sa besogne en conscience. Ne se fâche que devant une injustice et peut alors devenir terrible. Le vieux flamand qui bout, la brutalité qui éclate.
Du reste a eu un enfant de sa femme avant de l’épouser. Dans la moyenne pour tout, échantillon moyen des mœurs, etc. S’est beaucoup grisé étant jeune homme, a mené la vie des mineurs célibataires. Puis s’est rangé plus tard. […] Le type courant, sans hauteur ni bassesse. – Ne va plus voir des femmes, cela le fatigue, se contente de la sienne. […]
Estimé, aimé de ses camarades, parce qu’il est très bon ouvrier. – C’est lui qu’on charge de porter la parole parce qu’il est honorable. – Sa femme voudrait l’en empêcher ; mais il lui explique qu’il se doit à ses camarades d’autant plus que leurs réclamations sont justes. – Lui ne se plaignant pas, aurait encore supporté la misère, puisqu’on ne peut pas l’empêcher ; seulement, puisqu’on commence, il faut bien dire ce qui est juste – Et la femme consent. – C’est le commencement de ce qui les mènera si loin.
Bon père. Gaillard à l’occasion. Acceptant que Catherine ait un amant, ne se fâchant que pour le départ. – Ramené par sa femme, toutes les fois qu’il tendrait à s’égarer. »
Documents préparatoires de Germinal, NAF 10308, f° 13-16.
BIOGRAPHIE
Fils du vieux Bonnemort. Mari de la Maheude. Père de Zacharie, Catherine, Jeanlin, Alzire, Lénore, Henri et Estelle. Il est haveur à la fosse du Voreux et habite le coron des Deux cent quarante, au numéro 16 du deuxième corps. Tous les enfants logent dans la même chambre, séparée par une porte vitrée du palier où couchent les parents. Petit comme son père, Maheu lui ressemble en gras, la tête forte, la face plate et livide, sous ses cheveux jaunes coupés très courts. À quarante-deux ans, il a la peau blanche, d’une blancheur de fille anémique, ou les éraflures, les entailles du charbon, laissent des tatouages, des « greffes » ; il s’en montre fier, il étale ses gros bras, sa poitrine large, d’un luisant de marbre veiné de bleu. Les salaires sont tellement bas qu’on doit vivre à dix avec neuf francs par jour, et ce maigre gain est disputé rudement dans l’étouffement des ténèbres, dans les crampes des attitudes forcées, dans l’eau qui ruisselle, dans l’air qu’empoisonnent la fumée des lampes, la pestilence des haleines, l’asphyxie du grisou, et avec cela, il faut subir l’obsession des mouchards, il faut mesurer ses paroles, comme si la houille des actionnaires, encore dans la veine, avait des oreilles.
Maheu est un bon ouvrier, il ne boit pas, il adore ses petits et fait gentiment la dînette avec eux. C’est le meilleur travailleur de la fosse, le plus aimé, le plus respecté, celui qu’on cite pour son bon sens. Aussi a-t-il été désigné pour présenter à la direction les réclamations de ses camarades ; elles prendront, dans sa bouche, un poids décisif. Depuis longtemps, Étienne Lantier l’a endoctriné ; Maheu commence à se demander pourquoi l’on vit parqués, les uns contre les autres, comme des bêtes, si entassés qu’on ne peut changer de chemise sans montrer son derrière au voisin, pourquoi on est condamné à un travail qui était la punition des galériens autrefois, un travail de vraies brutes, qui ne vous donne même pas de viande à manger ; c’est en sa cervelle une lente germination, l’aspiration vers une société plus humaine, et ce sentiment lui donne le courage de parler au directeur Hennebeau. Il dit les choses amassées au fond de sa poitrine, leur misère à tous, le travail dur, la femme et les petits criant la faim à la maison, il cite les dernières payes désastreuses, les quinzaines dérisoires mangées par les amendes et les chômages, rapportées aux familles en larmes. Mais Hennebeau n’est qu’un simple agent d’exécution, derrière lui il y a une Régie sourde et muette, les mineurs sont acculés à la grève. Crever pour crever, ils préfèrent crever à ne rien faire ; ce sera la fatigue de moins. Et c’est alors la triste grève de Montsou, qui, après de longues semaines de famine, de froid, de sourdes révoltes, va être noyée dans le sang. Maheu s’est vu rendre son livret, la Compagnie ne veut plus de lui, elle a fait venir des Borains pour remplacer les grévistes et comme ceux-ci s’enragent devant les fosses occupées militairement, des briques sont jetées aux soldats et ceux-ci répondent par une décharge qui étend devant le Voreux triomphant vingt-cinq blessés et quatorze morts, dont deux enfants et trois femmes. Toussaint Maheu est frappé en plein cœur.
(Germinal)