FICHE PERSONNAGE

« 29 ans Blond, plutôt petit, avec une figure fine, un peu efféminée, semée de quelques taches de rousseur. Des moustaches blondes, les cheveux naturellement coupés en brosse. Les yeux sont gris, caressants, un peu fous parfois. Le nez et le menton menus, le front développé, intelligent.

Le caractère : nerveux, généreux et enthousiaste, mais sans fixité, accessible à toutes les idées qui passent, prompt à espérer et à désespérer, capable de grands enthousiasmes et de grands découragements. Avec ça des fautes à expier. En faire, en un mot, un peu le type du Français en 1870, portant historiquement la peine du second empire. Ignorant dans son instruction, ne sachant pas ce qu’il faut savoir (géographie, histoire, nations voisines). Vaniteux, croyant que rien ne peut résister. Brave, mais dans la victoire. Tout de suite effaré, prêt à la panique s’il est battu. Désespérant alors. D’abord, républicain de tête, mais avec des attaches napoléoniennes Son père, impérialiste, son grand-père soldat de 92, puis de la grande armée. Lui est né en 1841. – Son père qui l’avait eu à 30, par exemple, était donc né en 1811, et son grand-père en 17xx [surchargé]. – Donc un officier de la grande armée. Il l’a connu, il a entendu les récits de bataille. Et il est aussi républicain, Napoléon III l’était aussi. Ou du moins, la république est en lui à l’état théorique, tandis que l’empire est dans son sang. Et cela me donne même la dégénérescence que je veux, typique : le grand-père, un des géants de la grande armée, le fils un simple bureaucrate au Chêne-Populeux, percepteur, et le fils soldat engagé, battu à Sedan. Ce sera ainsi, dans mon personnage principal, que je montrerai comment, après s’être promenée triomphante chez tous les peuples, la France victorieuse avec les grands-pères, a pu être battue avec les petits-fils. Et impérialiste ainsi de cœur, républicain de tête, je le montre se ralliant à la Commune à la fin, psychologie de cela, comment cela a pu se faire. La France affolée par l’empire, démoralisée, énervée au point d’en perdre la raison. Bien expliquer par ce caractère toute la guerre et la Commune, la saignée qui a été nécessaire.

Maurice est pour la guerre. La nécessité de la guerre, la vie même (Darwin). Poser ça au début et conclure dans la scène finale. »

Documents préparatoires de La Débâcle, NAF 10286, f° 61-63.

BIOGRAPHIE

Fils du percepteur. Frère jumeau d’Henriette. Celle-ci, plus virile que lui, l’a élevé ; il l’aime passionnément. Blond, petit, avec un front très développé, un nez et un menton très menus, le visage fin, il a des yeux gris et caressants, un peu fous parfois. Venu à Paris pour y terminer son droit, il s’est livré à mille sottises, à toute une dissipation de tempérament faible et exalté, jetant sans compter l’argent au jeu et aux femmes. En juillet 1870, Maurice vient d’être reçu avocat. il est pour la guerre, il la croit inévitable, nécessaire à l’existence même des nations, la vie est une guerre de chaque seconde, la nature exige le combat continu, elle donne la victoire au plus digne.

Dans une crise de patriotisme, rêvant de combats pour le lendemain, voulant aussi racheter ses anciennes fautes par un peu de gloire, il s’est engagé au 106e de ligne (colonel de Vineuil). Et il se croit bien corrigé, dans sa nervosité prompte à l’espoir du bien comme au découragement du mal, soumis à toutes les sautes du vent qui passe. Généreux, ardent, mais sans fixité aucune, il assiste parfois, sans résistance possible, à la ruine de sa volonté, il tombe aux mauvais instincts, à un abandon de lui-même, dont il sanglote de honte ensuite. Au fond, il est ébranlé par la maladie de l’époque, il subit la crise historique et sociale de la race. Son grand-père, né en 1780, fut l’un des héros de la période militaire, un des vainqueurs d’Austerlitz, de Wagram et de Friedland ; son père, né en 1811, tombé à la bureaucratie, petit employé médiocre, s’est usé dans un emploi de percepteur ; lui, né en 1841, élevé en monsieur, admis au barreau, capable des pires sottises et des plus grands enthousiasmes, va être vaincu à Sedan, dans une catastrophe finissant un monde. Maurice est un des passants de l’époque, certes d’une instruction brillante, mais d’une ignorance crasse en tout ce qu’il faudrait savoir, vaniteux avec cela au point d’en être aveugle, perverti par l’impatience de jouir et par la prospérité menteuse du règne.

Incorporé dans l’escouade du caporal Jean Macquart, une répugnance, une sourde révolte l’a, dès les premières heures, dressé contré cet illettré, ce rustre qui le commande. Un peu plus tard, dompté par lui, il le hait d’une inextinguible haine. Puis, un jour de défaillance, Jean lui rend l’espoir par sa virulence contre les lâches qui parlent de ne pas se battre ; les mêmes fatigues et les mêmes douleurs, subies ensemble, font vaciller sa rancune ; il y a entre eux comme une trêve tacite. À ce moment, l’armée de Châlons, reconstituée à la hâte après les premières déroutes, n’est plus que l’armée de la désespérance, le troupeau expiatoire qu’on envoie au sacrifice, pour tenter de fléchir la colère du destin ; elle monte son calvaire jusqu’au bout, payant les fautes de tous, du flot rouge de son sang, grandie par l’horreur même du désastre. Depuis six semaines, Maurice n’a fait qu’user ses pauvres pieds d’homme délicat à fuir et à piétiner loin des champs de bataille. Il est redescendu à une égalité bon enfant, devant les besoins physiques de la vie en commun. Épuisé de lassitude, blessé au pied, il éprouve un profond sentiment de reconnaissance pour les soins maternels de Jean, un attendrissement invincible l’envahit, le tutoiement monte de son cœur à ses lèvres, dans un immense besoin d’affection, comme s’il retrouvait un frère chez ce paysan exécré autrefois, dédaigné encore la veille.

Il serait mort de fatigue et de détresse, si Jean ne l’avait sauvé, se condamnant lui-même à la faim pour lui garder des vivres. La fraternité a grandi entre eux. Et lorsque à Sedan, Jean est blessé et va être achevé par l’ennemi, Maurice, dans le plus grand danger, sentant la mort derrière lui, soutenu par une volonté invincible, le charge sur ses épaules, buttant à chaque pierre, se remettant quand même debout, le ramenant enfin dans les lignes françaises. Prisonniers dans la presqu’île d’Iges, ils ne veulent plus se quitter désormais, ils subissent l’effroyable sort de cette armée égorgée sans gloire, couverte de crachats, tombée au martyre, sous un châtiment qu’elle n’avait pas mérité si rude. Et lorsqu’en route vers l’Allemagne, à l’étape de Mouzon, ils parviennent à fuir, ils se serrent d’une étreinte éperdue, dans le sentiment de tout ce qu’ils viennent de souffrir ensemble ; c’est l’immortelle amitié, l’absolue certitude que leurs deux cœurs n’en font plus qu’un, pour toujours.

À Remilly, où Henriette soignera Jean blessé pendant la fuite, Maurice éprouve une surexcitation nerveuse extraordinaire, le sentiment de sa défaite le jette dans un besoin frénétique de rébellion contre le sort. Il passe en Belgique, se rabat sur Paris, et là, incorporé au 115e de ligne, engagé à Châtillon et à Champigny, témoin de la bataille de Buzenval, il garde l’ébranlement de chacune des défaites, le corps appauvri, la tête affaiblie par une si longue suite de jours sans pain, de nuits sans sommeil. En lui s’achève l’évolution qui, sons le coup des premières batailles perdues, a détruit la légende napoléonienne ; déjà, il n’en est plus à la république théorique et sage, il verse dans les violences révolutionnaires. Une haine lui est venue contre son métier de soldat, qui le parque à l’abri du Mont-Valérien, inutile et oisif. Après la reddition, il se décide à déserter.

La Commune lui apparaît comme une vengeance des hontes endurées, comme la libératrice apportant le fer qui ampute, le feu qui purifie. Quand l’insurrection est vaincue, Maurice s’acharne à combattre, il veut mourir ; un soldat de Versailles, ivre de fureur, le cloue d’un coup de baïonnette, sur la barricade de la rue de Lille et alors, dégrisés, les deux ennemis se reconnaissent. C’est Jean qui, dans l’abominable lutte, a mortellement blessé son frère. Le destin s’est acharné jusqu’au bout, il a exigé l’élimination du faible, incapable d’action robuste ; un sacrifice vivant a été nécessaire pour que la nation crucifiée puisse renaître. Et devant Paris en flammes, le pauvre être agonise entre Henriette et Jean ; il s’en va, affamé de justice, victime de son temps, dans la suprême convulsion du grand rêve noir qu’il a fait.

(La Débâcle)

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