FICHE PERSONNAGE
« 22 ans. Une brute. Gros garçon carré, avec de gros yeux bleu faïence, saillant, dans un masque de bête. Un nez épaté, une bouche en coup de sabre, le front bas. Les cheveux très pâles, rares. Des oreilles énormes, très distantes de la tête. Des pieds, des mains, énormes. – Très fort, très bien portant, avec un appétit qui engloutit tout, les choses les plus immondes. Stupide, et devenant méchant dans la colère.
D’un village perdu au fond de la Sologne, village très pauvre. Des parents journaliers, travaillant chez les autres, pour gagner très peu. A perdu sa mère de bonne heure, est resté avec son père qui buvait et qui a disparu. Lui ne boit pas, est même courageux à la besogne. N’est pas mécontent d’être soldat, a d’abord été ravi de manger et de dormir. Mais, en campagne, il souffre de la faim. – Et surtout sa stupidité, que je ferai tourner à un moment à de la cruauté et à de l’abomination.
En somme, il est la brute qu’on conduit à la boucherie. Il ne sait pas où il va, la machine à se battre imbécile. »
Documents préparatoires de La Débâcle, NAF 10286, f° 107-108.
BIOGRAPHIE
Soldat au 106e de ligne (colonel de Vineuil). Appartient à l’escouade du caporal Jean Macquart. C’est une brute poussée dans les marais de la Sologne, si ignorant de tout que, le jour de son arrivée au régiment, il a demandé à voir le roi. Sous le prétexte qu’il est le plus fort, avec sa taille de colosse, on le charge des ustensiles communs à l’escouade, il accepte même la pelle de la compagnie, convaincu que c’est un honneur. Sur le plateau de l’Algérie, pendant la bataille de Sedan, il est pris d’un bouleversement d’entrailles qui ne lui laisse pas le temps de gagner la haie voisine ; on le hue, on jette des poignées de terre à sa nudité, étalée ainsi aux balles et aux obus ; et beaucoup d’autres sont pris de la sorte, ils se soulagent, au milieu d’énormes plaisanteries, qui rendent du courage à tous. Dans l’après-midi, éreinté, épuisé de faim et de soif, il se laisse entraîner dans une auberge du Fond de Givonne, où Chouteau fuit l’action depuis le matin.
Dans le Camp de la Misère (presqu’île d’Iges), où règne la famine parmi les prisonniers, Lapoulle assomme un cheval malade, partage la chair avec ses camarades et y gagne une affreuse dysenterie. La disette persiste, le seul espoir de manger le rend fou, au point qu’il essaye de mâcher de l’herbe. À jeun depuis deux jours, devenu meurtrier à l’instigation de Chouteau, il tue Pache pour lui prendre un pain et, resté accroupi sur sa victime, il dévore le pain, éclaboussé de gouttes rouges. Quand la nuit est venue, l’irrésistible besoin de fuir l’entraîne vers la Meuse qu’il veut traverser à la nage et il est tué par la balle d’une sentinelle prussienne.
(La Débâcle)