FICHE PERSONNAGE

« 50 ans en 60, meurt au courant du livre.

Une vieille dame petite et maigre, les cheveux encore très noirs. N’a jamais été jolie, mais agréable encore, malgré son teint jaune, le visage déparé par un gros nez, signe d’ambition, les yeux noirs. – A été institutrice et en a gardé l’air de magister, le coup de férule, la dignité souple. Joue du piano, mais tremble que son fils ne se fasse musicien, elle qui a donné des leçons. Fait l’éducation de Pauline, par économie, et pour garder l’enfant.

La montrer jusqu’au jour où Pauline entre chez eux, d’une honnêteté stricte, sans chaleur. – Puis étudier le ravage que les cent cinquante mille francs font en elle. – Elle est dévorée par cet argent. – D’abord bonne pour Pauline, rêvant de la faire épouser par son fils, pour les 150 mille francs, se disant que jamais elle ne trouverait une héritière plus riche. Puis, quand l’argent a été mangé, manœuvrant presque pour qu’il ait Louise, riche de cent mille francs, et déjà presque fiancée. Elle pousse son fils à la compromettre pour l’avoir. Et sa haine contre Pauline augmente, elle meurt en l’accusant de l’empoisonner. Mort troublée par l’argent.

Elle adore son fils, c’est là un des pivots de sa conduite. – Si elle est furieuse contre la maladie de son mari, c’est parce que cette maladie empêche qu’on ne gagne de l’argent pour son fils. Elle adore Lazare pour lui, et aussi par ambition pour elle. Elle a souffert de s’enfermer près de la mer, mais c’est par économie. On a pu ne pas déménager d’un coup.

Très active, très entreprenante, au courant des affaires. C’est elle qui mène la tutelle, en faisant signer les pièces à son mari.

Elle se débarrasse volontiers sur Pauline du soin de soigner Chanteau. »

Documents préparatoires de La Joie de vivre, NAF 10311, f° 239-241.

BIOGRAPHIE

Orpheline de hobereaux du Cotentin, complètement ruinés. Était institutrice à Caen, courait le cachet, quand elle épousa Chanteau. Réduite par la misère de sa condition à s’unir à un fils d’ouvrier, elle voulut d’abord le pousser aux vastes entreprises ; ses volontés dominatrices ont échoué devant l’inertie de Chanteau. Elle reporte alors sur Lazare, son fils, l’espoir qui la hante ; mais ce rêve est contrarié par de gros revers d’argent. Le jeune homme ne lui donne, d’ailleurs, aucune satisfaction ; sorti du lycée, il n’a aucune ambition, il se grise de musique. Madame Chanteau, tourmentée par ses idées de grandeur, mène une existence aigrie entre un mari incapable et un fils névrosé.

À cinquante ans, elle est petite et maigre, les cheveux encore très noirs, le visage agréable, gâté par un grand nez d’ambitieuse. Quand le cousin Quenu est mort, elle a liquidé la succession tambour battant et amené à Bonneville la petite Pauline, dont elle va commencer aussitôt l’exploitation, en lui laissant le souci de soigner et de consoler Chanteau dans ses terribles crises de goutte. Elle utilise la naissante influence de l’enfant sur Lazare pour le décider à entreprendre la médecine. À ce moment, Pauline est une petite fée qui les récompense bien de l’avoir prise avec eux. Plus tard, quand Lazare, dégoûté de la médecine, voudra se lancer dans des entreprises industrielles, madame Chanteau cherchera des fonds pour son fils et jettera son dévolu sur la fortune de Pauline. L’argent, dévoré par les opérations de Lazare, sert en même temps aux besoins journaliers du ménage, tombé dans une grande gène, et, en peu d’années, cent mille francs sont engloutis. Par une habile manœuvre, madame Chanteau s’est délivrée des menaces du subrogé-tuteur Saccard et, pour couronner son ouvrage, elle cherche à évincer sourdement Pauline, fiancée à Lazare, et à la remplacer par Louise Thibaudier, une héritière qui doit apporter deux cent mille francs de dot. Quand Pauline chasse Louise trouvée dans les bras du jeune homme, madame Chanteau se décide à lever le masque mais une attaque d’hydropisie va l’enlever en quelques jours.

Elle a une agonie bavarde, qui dure vingt-quatre heures. C’est une confession involontaire, qui revient à la surface dans le travail même de la mort. Cette femme, restée âpre et combattive jusqu’à la fin, succombe pleine de fureur devant la tendre Pauline, qu’elle accuse de vouloir l’empoisonner, et elle quitte ainsi la vie, les poings serrés comme pour une lutte corps à corps.

(La Joie de vivre)

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