FICHE PERSONNAGE

« Un bon homme de soixante ans, de taille moyenne, un peu fort, tête ronde, le visage comme trempé et effacé dans ses vingt-cinq années de bureau ; le sourire est bon, les yeux bleus restent voilés et vagues ; des boucles de cheveux grisonnants. Absolument escamoté par sa femme. Un martyr, un cœur droit qui souffre de son milieu canaille, mais d’instinct et sans révolte. Lui, se plie et se tue pour suffire au train de la maison.

Je veux lui donner des débuts assez beaux. À vingt-cinq ans, il était déjà commis dans la cristallerie Saint-Jean, chez MM. Bernheim frères. En l’épousant, Éléonore Desforges [Bachelard], fille d’un maitre pension (pas de dot), espérait qu’il se pousserait et deviendrait l’associé des jeunes Bernheim, alors de son âge. Et pas du tout, Josserand s’était effacé, sans initiative, et avait fini par s’endormir dans sa caisse. Sujet éternel de querelle entre les Josserand. Vous vous êtes laissé duper, c’est vous qui avez fait leur maison (la maison est en effet considérable). Si ce n’est pas une pitié qu’ils ne vous donnent que huit mille francs. – Mais, ma bonne, je suis très heureux, c’est un beau poste, ils ne m’ont jamais rien refusé. – Parbleu ! vous vous laissez manger, etc. – Calculer le budget pour la famille.

Donc un caissier modèle, d’une probité extraordinaire. Voir s’il n’y a rien à tirer de sa caisse, et tout cet argent qu’il manipule et dont sa femme le fait parler. On peut donner à sa femme des plaisanteries qui le font pâlir. – Ah ! si nous mettions seulement une échéance dans notre poche.

Lui Josserand est le fils d’un avoué de province, retraité, qui a fait sur le tard de mauvaises affaires, qui s’est laissé ruiner par une bonne et des nièces. Autre sujet d’aigreur de la part de Mme Josserand. »

Documents préparatoires de Pot-Bouille, NAF 10321, f° 233-235.

BIOGRAPHIE

Mari d’Éléonore Bachelard. Père de Léon, Saturnin, Hortense et Berthe. Gros yeux bleus aux regards éteints, boucles de cheveux grisonnants, voix lente et fatiguée, visage comme trempé et effacé par trente-cinq ans de bureau. Josserand est un vieil honnête homme qui s’impose une vie de martyre pour satisfaire aux exigences dépensières de sa femme. Caissier des frères Bernheim, à la cristallerie Saint-Joseph, avec appointements de huit mille francs par an, il passe les nuits à faire des bandes à trois francs le mille, pendant que sa femme et ses filles battent les salons avec des fleurs dans les cheveux. Éléonore le domine, il subit le chapitre intarissable de ses espoirs brisés, consent par faiblesse à des capitulations de conscience qui l’emplissent d’angoisse, marie sa fille Berthe sous la promesse illusoire d’une dot inexistante et subit ensuite le déchirement de voir le ménage de la jeune femme gâché comme le sien. Une décomposition du sang l’emporte bientôt, il agonise devant les âpres querelles de sa femme et de ses filles, étranglé par la tranquille inconscience des seules créatures qu’il ait aimées.

(Pot-Bouille)

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