FICHE PERSONNAGE
« 21 ans. – Elle tient de sa mère comme sa sœur, et elle ressemble énormément à celle-ci, mais en très bien. Chez elle les traits sont les mêmes, mais moins forts, le nez moins long, le menton d’une courbe plus fine ; et surtout elle a un teint éclatant, ce qui la rend charmante, très désirable, bien qu’elle ne soit pas belle. Ses cheveux aussi qui sont châtains, ont des reflets dorés superbes. Avec cela, très parisienne, très vive, l’air un peu cocotte, grâce à l’éducation de la mère et aux toilettes qu’on lui fait porter, des toilettes qui ne sont pas d’une jeune fille (à trouver). Hardie, rieuse, etc. Tremble devant sa mère qui la gifle.
Au moral et à l’intellectuel, le produit de l’éducation de sa mère. – Une tête vide, pleine de babioles. Ignorante, avec des arts d’agrément. Lésinerie et saleté sous le luxe d’étalage. Jupons sales. On lui a appris que l’argent était tout, et que les hommes sont faits pour en donner. Tripotage d’argent, querelle sur l’argent. Il vaut mieux mentir que d’avoir l’air pauvre. Puis, tout ce qu’elle voit faire pour son mariage, ses parents placent de l’argent dans ses toilettes pour faire un homme. On la jetterait dans les bras d’un monsieur, pour que le monsieur l’épouse ensuite (citer un fait). La mère, lui parlant des hommes ; elle l’en dégoûte pour jamais. « Ah ! maman avait bien raison de dire… » – Et son père qui l’a trompée sur ses capacités, qui ne se remue pas, qu’elle n’épouserait plus. Et le cours de prostitution décente pour faire un homme. Je puis employer un des conseils de la mère, quand elle fera Octave, ou même pour que cela soit très frappant lui faire prendre Octave identiquement dans les conditions où elle aura pris Louis. Il faut paraître belle, bien portante, aimable. – Les caresses innocentes.
Berthe a été élevée dans un grand pensionnat jusqu’à dix-huit ans. Il y a trois ans seulement que sa mère tâche de la placer. »
Documents préparatoires de Pot-Bouille, NAF 10321, f° 239-241.
BIOGRAPHIE
La dernière fille des Josserand. Elle garde à vingt et un ans toute une grâce d’enfance, avec les mêmes traits que sa sœur, mais plus fins, éclatants de blancheur. Mine chiffonnée, cheveux châtains dorés de reflets blonds, menacée seulement vers la cinquantaine du masque épais de sa mère ; elle a une grâce hardie et un charme facile de Parisienne, avec quelques talents de musicienne et de peintre qui constituent toute sa dot. Pour la marier, c’est pendant trois hivers une véritable chasse à l’homme, des garçons de tous poils aux bras de qui on la jette, une offre continue de son corps sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois ; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs spéculant sur les appétits des niais ; enfin, le mari levé un beau soir, comme un homme est fait par une gueuse, le mari raccroché sous un rideau, excité et tombant au piège, dans la fièvre de son désir.
Stylée ainsi, Berthe a trouvé un époux dans la personne du chétif Auguste Vabre, qu’elle a su habilement compromettre. Et dès le mariage, cette jeune fille poussée dans la serre chaude du faux luxe parisien, corrompue par une éducation de poupée, s’affirme en enfant égoïste et gâcheur qui saccagera l’existence pour en mieux jouir. Se désintéressant du commerce entrepris par son mari, elle vit dans un perpétuel besoin de mouvement, avec le goût des riches toilettes et le dédain du linge qu’on ne voit pas ; elle a vite conquis la carrure de sa mère, dont elle répète les phrases, recommençant pour son compte les querelles qui ont bercé sa jeunesse ; elle éprouve un désir grandissant de liberté et de plaisir, un amour de l’argent, toute cette religion de l’argent dont elle a appris le culte dans la famille. Et, entravée par l’avarice de Vabre, elle fait des dettes, accepte les dons d’Octave Mouret et glisse, sans même y penser, à un adultère sans plaisir, dont elle sera bientôt lasse, car c’est une nature froide, d’un égoïsme rebelle aux tracas de la passion. Elle a subi Octave sans bonheur, le trouvant trop exigeant pour ce qu’il donne et arrivant très vite à faire à son amant l’éternelle querelle d’argent dont elle poursuit son mari. Chassée par celui-ci, puis reprise, restée inconsciente de sa faute, elle a rompu avec Octave, mais elle est au mieux avec le nouvel associé de Vabre, un petit blond très coquet qui la comble de cadeaux.
(Pot-Bouille)
La concurrence du Bonheur des Dames a fini par tuer le magasin de Vabre. Les dépenses de Berthe ont précipité cette débâcle.
(Au Bonheur des Dames)