FICHE PERSONNAGE
« Hyacinthe Fouan, dit Jésus-Christ. 40 ans en 59, donc né en 19. Grand gaillard, avec cheveux et barbes incultes. Une face de Christ ravagé et brigand, détrousseur de grande route. Mal vêtu. Braconnier, maraudeur, fait des journées ça et là, boit tout, se fait renvoyer de partout, terrifiant la contrée. […] A été soldat en 40, a fait les campagnes d’Afrique, où il a pris ses habitudes de maraude et d’ivrognerie. Les bédouines violées et éventrées, les razzias, les bédouins auxquels on coupe les oreilles, etc. Puis, quand il est rentré dans son pays en 1847, ne s’est pas entendu avec son père, s’est mis à part, a ramené pour femme une maîtresse ramassée dans un marché, dont il a eu une fille en 49. Puis la mère est partie avec un autre homme lorsque la petite avait déjà six ans, en 55 ; et il a gardé l’enfant, qui a achevé de grandir toute seule. Elle garde les oies. Lui, chassé de partout, s’est fait une demeure dans une ancienne cave du château. Il vit là de rapines, en fainéant, toujours aimé par sa mère et par son père aussi, les volant. – Toujours l’ancien chapardeur d’Afrique, et en plus un révolutionnaire. Parler de son rôle en 48 ; à lui tout seul, ou avec un ami seulement, a voulu rançonner des bourgeois, la ferme peut-être.
Mais au fond, pas mauvais homme, surtout quand il est saoul. Son originalité est de devenir bon enfant dès qu’il est gris, au contraire de Bécu, qui devient très agresseur. – Son rôle de père. – Dans le calvaire monté par son père, lui n’est pas un mauvais. Il lui tire seulement des pièces de cent sous, ayant flairé le premier le magot gardé par le vieux. Et à la fin, à l’enterrement, très saoul, pleurant à chaudes larmes.
Un comique au fond. »
Documents préparatoires de La Terre, NAF 10329, f° 19-21.
BIOGRAPHIE
Fils aîné du père Fouan et de Rose Maliverne. Frère de Buteau et de Fanny Delhomme. Père d’Olympe Fouan, dite la Trouille. Un ancien soldat qui a fait les campagnes d’Afrique et qui, paresseux et ivrogne, s’est mis, dès son retour, à battre les champs, refusant tout travail régulier, vivant de braconnage et de maraude, comme s’il rançonnait encore un peuple tremblant de Bédouins. À quarante ans, c’est un grand gaillard, d’une belle force musculaire, les cheveux bouclés, la barbe en pointe, longue et inculte, avec une face de Christ ravagé, un Christ soûlard, violeur de filles, détrousseur de grandes routes. Au fond de ses beaux yeux noyés d’une perpétuelle ivresse, il y a de la goguenardise pas méchante, le cœur ouvert d’une bonne crapule. Il habite le château, coin rocheux qui appartient à la commune de Rognes et où il s’est réfugié à la suite d’une querelle avec son père.
Terrible chenapan à jeun, il s’attendrit davantage à chaque verre de vin, il devient d’une douceur et d’une bonhomie d’apôtre intempérant., Très venteux, répudiant les bruits timides, étouffés entre deux cuirs, il n’a que des détonations franches, d’une solidité et d’une ampleur de coups de canon ; il bat au jeu de la chandelle, Sabot, le vigneron de Brinqueville, qui a moins de souffle que lui. En politique, Jésus-Christ est un rouge, il se vante d’avoir à Cloyes, en février, fait danser le rigodon aux bourgeoises ; dans son pêle-mêle baroque d’opinions, idées d’ancien troupier d’Algérie, de rouleur de villes, du politique de marchand de vin, ce qui surnage, c’est l’homme de 48, le communiste humanitaire, resté à genoux devant la formule liberté, égalité, fraternité, qui excite les railleries de son ami Leroi, dit Canon.
Il n’est sévère que sur un point, la morale ; il ne veut pas que sa fille le déshonore et il la corrige à coups de fouet. Quant au reste, il n’a aucun préjugé. Lorsque le père Fouan a partagé ses terres, Jésus-Christ n’a brûlé que d’un désir, avoir sa part pour battre monnaie, il a bu son bien en l’hypothéquant morceau à morceau, il n’a jamais versé un sou de la rente, trouvant même le moyen de carotter des pièces de cent sous à ses parents, jouant le grand jeu, beuglant à rendre son père fou, se traînant par terre, menaçant de se percer le cœur d’un coutelas et, dès qu’il a obtenu de l’argent, courant le boire avec son vieux frère d’armes, le garde champêtre Bécu, dont il possède la femme tout en la traitant de vieille peau. Il a chambré le père Fouan pour s’emparer du magot, il a eu les titres en mains, mais n’a pas osé s’en emparer, car il manque d’envergure, n’ayant ni la froide rapacité de sa sœur Fanny, ni les instincts meurtriers de son frère Buteau. Ce n’est, au fond, qu’un simple jeannot dans sa gueuserie.
(La Terre)