FICHE PERSONNAGE

« Quarante-huit ans. – Directeur de la Cie. – Bonapartiste.

Taille moyenne, très brun, cheveux corrects, porte toute sa barbe taillée assez courte. Plutôt maigre.

Autoritaire, mais pas méchant. Représentant la Cie avec une rigueur honnête. Ne trafiquant pas lui-même, n’ayant pas d’actions, payé seulement à appointements fixes.

Son histoire. N’est pas sorti de l’École Polytechnique. S’est fait un peu tout seul. Est des Ardennes. A fait, comme la plupart des ingénieurs, un beau mariage, qui l’a enrichi. Du reste, la fortune n’est pas à lui, et il continue de travailler. A une sœur qui avait épousé un méridional, Négrel ; sœur peu fortunée qui vit à Avignon d’une petite rente, pendant que son fils Négrel est auprès de son oncle.

Donner au personnage toutes les idées capitalistes de sa situation. Mais aucun aggravement, remplit son devoir, représente les hauts salariés. Il défend son pain comme les ouvriers.

Au fond, un homme triste, qui n’a pas trouvé le bonheur dans son mariage. Trouve les ouvriers aussi heureux que lui, envie les ouvriers qui s’aiment. Je pourrais lui faire surprendre la Mouquette et un homme embrassés ; et il passe, et il s’en va : « Que réclament-ils donc, je voudrais être à leur place. » Un fond tendre aigri, sous la correction de sa rigueur administrative. Laisser entrevoir un cœur. – Sait parfaitement que sa femme l’a trompé, et respire un peu depuis qu’elle a consenti à se retirer à Montsou. Rapports simplement cérémonieux entre eux. – Un drame humain que j’oppose au drame social. Si je lui faisais surprendre sa femme et son neveu, au moment aigu de la grève ? « Qu’ont-ils donc à se plaindre, ces ouvriers ? Je voudrais être à leur place, échanger leur faim contre mon tourment. »

Documents préparatoires de Germinal, NAF 10308, f° 59-60.

BIOGRAPHIE

Directeur général de la Compagnie des mines de Montsou, comprenant dix-neuf fosses, dont treize pour l’exploitation, le Voreux, la Victoire, Crèvecœur, Mirou, Saint-Thomas, Madeleine, Feutry-Cantel, d’autres encore, et six pour l’épuisement, et l’aérage, comme Réquillart, dix mille ouvriers, des concessions qui s’étendent sur soixante-sept communes, une extraction de cinq mille tonnes par jour, un chemin de fer reliant toutes les fosses. Le tout appartient a des actionnaires, des gens que les mineurs n’ont jamais vus. Né dans les Ardennes, M. Hennebeau a eu les commencements difficiles d’un garçon pauvre, jeté orphelin sur le pavé de Paris. Après avoir suivi péniblement les cours de l’École des mines, il est à vingt-quatre ans parti pour la Grand Combe, comme ingénieur du puits Sainte-Barbe ; trois ans plus tard, il devient ingénieur divisionnaire dans le Pas-de-Calais, aux fosses de Maries, et c’est là qu’il se marie. Le ménage habite la même petite ville de province pendant quinze ans ; un désaccord physique et moral a grandi entre les époux, Hennebeau adore sa femme qui le dédaigne. Après avoir ignoré le premier amant, il obtient un poste à Paris, croyant reconquérir ainsi l’épouse, mais Paris achève la séparation ; les dix ans que madame Hennebeau y passe, dans la luxueuse folie de l’époque, sont emplis par une grande passion devant laquelle le mari se résigne, désarmé par la tranquille inconscience de cette femme qui prend son bonheur où elle le trouve. Puis, quand l’amant disparaît, laissant sa maîtresse malade de chagrin, Hennebeau accepte la direction des mines de Montsou ; il espère encore la corriger là-bas, dans ce désert des pays noirs.

Très brun de peau, le visage autoritaire et correct, le directeur inspire une crainte hiérarchique à ses dix mille ouvriers ; il n’admet pas que ceux-ci se plaignent, il leur reproche d’avoir été gâtés par les années heureuses, de ne pas savoir revenir à leur frugalité ancienne, maintenant que leur salaire de six francs est réduit de moitié. D’ailleurs, mal renseigné, il est convaincu que la grève durera une semaine, une quinzaine au plus, que les mineurs vont rouler les cabarets et retourneront aux fosses, quand ils auront trop faim. Dans ses longues promenades à cheval, à travers le pays en grève, il ne rencontre que des hommes silencieux, lents à saluer ; il tombe le plus souvent sur des amoureux qui se moquent de la politique et se bourrent de plaisir dans les coins ; alors, son cœur, toujours plein de la femme qui ne veut pas de lui, se gonfle d’un besoin inassouvi, à travers cette goinfrerie des amours libres. Volontiers, il crèverait de faim comme ses ouvriers, s’il pouvait recommencer l’existence avec une amoureuse qui se donnerait à lui sur des cailloux, de tous ses reins et de tout son cœur. À l’heure de la révolte qui va ensanglanter Montsou, il découvre un nouvel adultère, c’est maintenant son neveu, presque son fils, le petit ingénieur Négrel, qui est l’amant de madame Hennebeau, et pendant qu’une amertume affreuse lui empoisonne la bouche, pendant qu’il est hanté par l’éternelle douleur de l’existence, par la honte de lui-même qui désire toujours cette femme, il entend les grévistes l’injurier à propos de ses quarante mille francs d’appointements, le traiter de fainéant et de ventru, de sale cochon qui se fout des indigestions de bonnes choses, quand l’ouvrier crève de faim. Devant ce nouveau désastre de son existence, il se réfugie dans la stricte exécution des ordres reçus, il fait de la discipline militaire où il vit sa part réduite de bonheur.

La confiance des régisseurs de Montsou semblait ébranlée ; il a regagné leurs bonnes grâces en laissant gâter les choses, en n’évitant pas la bagarre qui doit provoquer une répression énergique et mettre les révoltés à la raison. Et il rentre définitivement en faveur par son habileté à dépouiller Deneulin, à livrer à la Compagnie de Montsou la belle proie de Vandame, guettée si longtemps. Après la grève, il reçoit la rosette d’officier de la Légion d’honneur, il continue sa vie ravagée, acceptant la honte du ménage à trois avec Négrel pour éviter une honte plus grande, préférant garder son neveu, dans la crainte de son cocher.

(Germinal)

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