FICHE PERSONNAGE

« 60 ans. Le type connu du juif de Francfort. Court et trapu, grosse tête carrée, avec de larges oreilles. Nez énorme, yeux à fleur de tête, et très chauve. Grandes mâchoires solides. Je ne le ferai pas baragouiner.

Prendre tous les détails sur le baron de Rothschild (dans Feydeau et ailleurs). Le loger dans un vieil immeuble hôtel de la rue de Provence. Il est marié, a 5 filles et 4 garçons. Trois de ses filles et trois de ses garçons sont mariés, et il a déjà quatorze petits enfants. Cela fait donc, avec ses gendres et ses brus, une famille de 29 personnes, qu’il loge dans son hôtel, tous ; si on les compte, lui et sa femme, cela fait 31. – La vie familiale de tout ce monde. Il est aidé par deux de ses fils et un de ses gendres ; les autres font autre chose.

Lui, très souffrant d’une maladie d’estomac, ne peut plus absolument supporter que du lait. Avec ça, sans passion, n’a jamais touché une autre femme que la sienne, et ne pourrait pas commencer à son âge. Pourtant, au travail dès six heures, mène une vie de chien, n’a jamais goûté la vie et ne la goûte pas. Enfoncé dans un travail que pas un de ses employés ne voudrait faire. Fortune énorme, ne joue qu’avec ses capitaux ; de là la base solide de ses opérations.

L’opposer donc à Saccard, passionné : un être froid et entasseur. »

Documents préparatoires de L’Argent, NAF 10268, f° 341-342.

BIOGRAPHIE

Le roi de la banque juive, le maître de la Bourse et du monde. C’est un homme de soixante ans, dont l’énorme tête chauve, au nez épais, aux yeux ronds à fleur de tête, exprime un entêtement et une fatigue énormes. Occupe rue de Provence un immense hôtel, tout juste assez grand pour son innombrable famille. Quand sa descendance, enfants et petits-enfants, est réunie au repas du soir, ils sont, en les comptant, sa femme et lui, trente et un à table. En moins d’un siècle, la monstrueuse fortune d’un milliard est née, a poussé et débordé dans cette famille, par l’épargne, par l’heureux concours aussi des événements. II y a là comme une prédestination, aidée d’une intelligence vive, d’un travail acharné, d’un effort prudent et invincible, continuellement tendu vers le même but. Tous les fleuves de l’or vont à cette mer.

Levé dès cinq heures, le banquier roi est au travail lorsque Paris dort encore et quand, vers neuf heures, la bousculade des appétits se rue devant lui, sa journée est déjà faite. L’air impassible et morne, les yeux glauques, il reçoit durant des heures, jusqu’au déjeuner, tout un défilé de coulissiers, de marchands de curiosités, de dames louches produisant de jolies filles, d’inventeurs, d’étrangers venus de partout, foule variée alternant avec toute une série de remisiers qui présentent mécaniquement la cote. Dans cette pièce, publique comme une place, emplie d’un vacarme d’enfants, des ambassadeurs sont reçus debout. Gundermann trafique de son milliard en commerçant rusé et prudent, en maître absolu, obéi sur un coup d’œil, voulant tout entendre, tout voir, tout faire par lui-même. Ce n’est plus la figure de l’avare classique qui thésaurise, c’est l’ouvrier impeccable, sans besoin de chair, devenu comme abstrait dans sa vieillesse souffreteuse, qui continue à édifier obstinément sa tour de millions, avec l’unique rêve de la léguer aux siens, pour qu’ils la grandissent encore jusqu’à ce qu’elle domine la terre. Et cet homme souffre depuis vingt ans d’une maladie d’estomac, il ne se nourrit absolument que de lait.

Sobre et de froide logique, il n’a jamais pu s’entendre avec Saccard, passionné et jouisseur. Il assiste sans émoi à la création de la Banque Universelle, qui va syndiquer les intérêts catholiques, et se dresser comme une menace devant la haute banque juive. Il s’émeut à peine d’un coup de Bourse où ce casse-cou de Saccard l’a battu ; il attend patiemment, sûr de la revanche, sachant que l’édifice du spéculateur, édifié sans bases solides, développé sans mesure, se lézardera vite et pourra être jeté par terre d’un coup d’épaule. L’heure venue, il mène une rude campagne à la baisse, subit sans sourciller des liquidations désastreuses et fait avancer chaque fois ses grosses réserves d’écus. Aucun sacrifice ne lui coûte pour rester maître absolu du marché. Et il oppose aux extravagances de Saccard une froide obstination qui lui donnera la victoire le jour où, connaissant par la baronne Sandorff, passée sans profit à son service, la position exacte de la Banque Universelle, il décidera brusquement d’en finir. D’ailleurs, après la ruine de Saccard, il est le premier à s’offrir pour éviter l’immédiate déclaration de faillite et empêcher un ébranlement trop général. Il est au-dessus de la rancune, n’ayant d’autre gloire que de rester le premier marchand d’argent du monde, le plus riche et le plus avisé, ayant réussi à sacrifier toutes ses passions à l’accroissement continu de sa fortune.

(L’Argent)

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