FICHE PERSONNAGE
« Quarante-deux ans. D’une ancienne famille parlementaire. Très haute bourgeoisie. Son père a été président de la cour d’appel. Fortune moyenne pourtant (il n’a qu’un loyer de trois mille francs – À arranger). Très vieille honnêteté. Un bel homme grave, rasé complètement, avec des marbrures, causées par une âpreté de sang ; la chair pas saine. Face longue, aux yeux un peu obliques, avec un front fuyant et un menton allongé. D’une intelligence moyenne, très conservateur, légitimiste rallié à l’empire ; moral, plaidant toujours pour la famille et la société. Idées moyennes, toutes faites. – Puis, un tempérament amoureux qui emporte tout. La première nuit, il s’est conduit si violemment avec sa femme que celle-ci a gardé un dégoût ; elle l’exècre, très froide d’ailleurs, lui tolérant des maîtresses qui la débarrassent de ses baisers ; une corvée abominable pour elle, qu’elle accepte pourtant parfois, avec une résignation de femme qui est pour tous ses devoirs.
Je donnerai à Duveyrier un train de maison de quarante mille francs. Mais il en dépensera presque autant en dehors, et comme il n’a une fortune que de cinquante mille francs de rente, un million de capital environ, il se coulera. C’est après une perte, et plus encore sous le coup d’une souffrance de cœur qu’il se tirera le coup de revolver ; il n’est pas ruiné, ses affaires se remettent très bien. On peut inventer une histoire de chasse, ou une chute, pour expliquer la blessure.
J’ai envie aussi d’en faire, non seulement un voluptueux, mais un tendre. Il aurait sa petite fleur. Il serait pour l’idéal (très bon, à garder). Le même sentiment est d’ailleurs dans l’oncle Bachelard, mais dans un terrain vicié, tandis qu’ici il se trouve dans un tempérament de moraliste. Donc, de subits attendrissements, de la poésie fleurie, chez ce bourgeois raide et gourmé, plat comme un trottoir. – À sa femme, en pleurant, quand elle le trouve avec une balle dans la mâchoire : « Tu ne m’as jamais aimé. Je suis bien malheureux… »
Documents préparatoires de Pot-Bouille, NAF 10321, f° 257-259.
BIOGRAPHIE
Conseiller à la Cour d’appel. Issu d’une vieille famille bourgeoise, fils d’un président de Cour, a été attaché au parquet dès sa sortie de l’école, plus tard juge suppléant à Paris, décoré, conseiller avant quarante-cinq ans. Pas plus fort qu’un autre, il a été poussé par tout le monde. Duveyrier est grand et maigre. Il a la face rasée, un menton pointu et des yeux obliques ; sa peau est marquée de larges plaques rouges, indiquant un sang mauvais, toute une âcreté brûlant à fleur de peau. Marié à Clotilde Vabre avec qui il habite dans la maison du beau-père, rue de Choiseul, ses gros appétits de mâle ont été déçus par le dégoût physique qu’il inspire à sa femme. Aussi a-t-il toujours quelque maîtresse, logée par précaution dans des quartiers lointains, au bout des lignes d’omnibus, et chez qui il va une fois par semaine, régulièrement, ainsi qu’un employé se rend à son bureau.
La dernière en date est Clarisse Bocquet, qui répond sans doute à un idéal longtemps cherché, car il s’est violemment épris d’elle ; il pleure en lui baisant les paupières, tout secoué dans ses ardeurs charnelles par un besoin de cultiver la petite fleur bleue des romances. C’est chez Clarisse qu’il reçoit ses amis et, dans ce salon de la rue de la Cerisaie, le sentencieux Duveyrier, si morne chez sa femme, retrouve un air de jeunesse, les taches saignantes de son front tournent au rose, ses yeux obliques luisent d’une gaieté d’enfant. Les visites hebdomadaires ne lui suffisent plus ; il s’échappe entre deux suspensions d’audience, faisant seulement à la dignité de la magistrature la concession de retirer son ruban rouge quand il arrive chez sa maîtresse. Il croit d’ailleurs à la parfaite vertu de Clarisse qui, pourtant, le trompe sans scrupule, et il reste pétrifié le jour où elle le lâche brutalement. C’est pour Duveyrier une immense amertume, dont il est à peine distrait par la mort du vieux Vabre et les manœuvres à accomplir, de connivence avec Clotilde, pour spolier ses deux beaux-frères. Dans son désarroi de mâle abandonné, il couche avec Adèle, la bonne des Josserand, mais rien ne remplace Clarisse et, lorsqu’un jour le hasard la lui fait rencontrer sous une porte, il est trop heureux de la reprendre, de la réinstaller rue d’Assas dans un bel appartement, acceptant ses nouvelles conditions, renonçant à l’amusant intérieur d’autrefois, se résignant, lui que la musique horripile, à subir la torture d’un piano, retrouvant chez sa maîtresse un coin de bourgeoisie féroce où se répètent tous les ennuis de son ménage, dans de l’ordure et du vacarme.
Mais cette secousse l’a profondément atteint ; des embarras d’argent lui sont venus, il baisse, les jeunes avocats le regardent d’un air polisson, ce qui le gêne pour rendre la justice. Jeté dans l’escalier par la famille de Clarisse, il a essayé de se suicider et cette tentative ratée l’a laissé la mâchoire de travers, déviée à gauche. Il va d’ailleurs devenir président de chambre et officier de la Légion d’honneur, juste récompense de sa férocité de magistrat. Et Duveyrier remplacera Clarisse par une nouvelle maîtresse un peu mûre, mais romanesque, l’âme élargie par cet idéal dont il a besoin pour épurer l’amour.
(Pot-Bouille)