FICHE PERSONNAGE
« Victor Deneulin, 50 ans. – Un cousin de Grégoire. Les Deneulin avaient aussi dans leur famille un denier de Montsou. Même légende que pour les Grégoire. Seulement, Deneulin, ingénieur entreprenant, l’a vendu pour acheter la concession de Vandame, sur laquelle il n’y a encore que deux puits. Il espérait réaliser une fortune royale, n’étant pas satisfait de ses trente mille francs de rente. Les Deneulin beaucoup plus remuants que les Grégoire. Et les causes de la ruine indiquées. D’abord dans un matériel défectueux, puis dans la nature même de la mine ; et la grève venant achever sa ruine. Deux ou trois fois, il est venu pour emprunter aux Grégoire. Voir un emprunt.
L’allure d’un officier de cavalerie, le verbe haut, le geste cassant. Pas méchant homme, emporté. – Très courageux, descendant lui-même dans sa mine, faisant les sauvetages. Bon pour ses ouvriers, mais exigeant d’eux beaucoup de travail. Se mettant à la besogne avec eux. – Du reste mauvais administrateur, laissant tout aller, mangé par sa famille. – La Cie de Montsou guette depuis longtemps la concession qui est enclavée dans la sienne ; mais elle veut l’avoir pour un morceau de pain, et elle attend, elle cherche à affamer Deneulin par la concurrence. La grève, bonne occasion. Cette fois, elle le tient, car il ne pourra tenir le coup, d’autant plus qu’il est gêné. – Poser cela dans le chap. I de la partie II, chez les Grégoire. Et l’emprunt plus tard seulement. Opposer l’actionnaire au patron, les deux familles.
Est veuf depuis deux ans. Ses filles ont achevé de s’élever toutes seules assez mal. Habite près de son puits Jean-Bart, à un kilomètre de Vandame, petite ville cachée dans une baie de la forêt. »
Documents préparatoires de Germinal, NAF 10308, f° 78-79.
BIOGRAPHIE
Cousin des Grégoire. Comme eux, il a eu en héritage un denier des mines de Montsou ; mais, tandis que les Grégoire grignotaient tranquillement leurs rentes, lui, ingénieur audacieux, tourmenté du besoin d’une royale fortune, s’est hâté de vendre lorsque la valeur du denier a atteint le million. Sa femme tenait d’un oncle la petite concession des mines de Vandame, avec deux fosses, Jean-Bart et Gaston-Marie. Il entreprend l’exploitation de cette affaire qui doit donner de l’or, mais qui commence par engloutir le million, et, à l’heure où de gros bénéfices devraient se produire, il est sans ressources, devant une crise industrielle qui menace de tout emporter.
Bien qu’il ait dépassé la cinquantaine, ses cheveux coupés ras et ses grosses moustaches sont d’un noir d’encre ; il a le verbe haut, le geste vif, avec une allure d’ancien officier de cavalerie. Mauvais administrateur, d’une bonté brusque avec ses ouvriers, il se laisse piller depuis la mort de sa femme, lâchant aussi la bride à ses filles. Une vieille haine existe entre la concession de Montsou et celle de Vandame ; malgré la faible importance de cette dernière, sa puissante voisine enrage de voir, enclavée dans ses soixante-sept communes, cette lieue carrée qui ne lui appartient pas ; après avoir essayé vainement de la tuer, elle complote de l’acheter à bas prix, lorsqu’elle râlera. Mais Deneulin, déclare que, lui vivant, Montsou n’aura pas Vandame ; il déteste les gros bonnets de la compagnie, ces marquis et ces ducs, ces généraux et ces ministres, des brigands qui vous enlèveraient jusqu’à votre chemise, à la corne d’un bois. Lui ne trône pas au loin, dans un tabernacle ignoré ; il n’est pas de ces actionnaires qui payent un gérant pour tondre le mineur, et que celui-ci n’a jamais vus ; il est un patron, il risque autre chose que son argent, il risque son intelligence, sa santé, sa vie.
Mais quand la grève éclate, il a beau tenir tête aux révoltés, combattre l’émeute en autoritaire courageux, c’est lui qui paye les frais de la guerre. Acculé à la ruine, égorgé par les régisseurs de Montsou, il subit la puissance invincible des gros capitaux, si forts dans la bataille qu’ils s’engraissent de la défaite en mangeant les cadavres des petits, tombés à leur côté. C’est à peine s’il tire de la cession de Vandame l’argent nécessaire pour payer ses créanciers et il s’estime heureux d’être gardé, sous les ordres d’Hennebeau, à titre d’ingénieur divisionnaire, se résignant ainsi à surveiller, en simple salarié, ces deux fosses où il a englouti sa fortune. C’est le glas des petites entreprises personnelles, la disparition prochaine des patrons, mangés un à un par l’ogre sans cesse affamé du capital, noyés dans le flot montant des grandes compagnies.
(Germinal)