FICHE PERSONNAGE
« 22 ans. – Une grande belle fille. Type romain. Une beauté admirablement régulière. Un marbre. Brune avec une peau très blanche. Yeux noirs. Très provocante parfois, très froide quand elle veut. – Depuis l’âge de 15 ans roule en France avec sa mère. Connue sur les plages, dans les villes d’eau, dans les hôtels des grandes villes, se trouvant partout où il y a du monde. À Paris, aux courses, dans les fêtes. – Fortune ignorée. Vit sur un grand pied, avec des trous, des disparitions subites. Très bien avec la légation d’Italie, ce qui les fait accepter partout. Le compte Balbi existe encore à Rome. Un prince a eu la comtesse pour maîtresse. Mais la fille n’est certainement pas de lui. On ne sait rien au fond.
Clorinde très excentrique. Elle a gardé un léger accent, quand elle veut. Parfois d’une propreté douteuse. S’habillant plutôt mal, mais toujours charmante. Énigmatique. Très femme.
Ses cinq étapes dans des lits différents.
Très intelligente tant qu’il ne s’agit que de ses intérêts, très bête pour tout le reste, pour tout ce qui n’est pas femme et intrigue. D’un mauvais goût parfait dans l’art, incapable de lire un livre et de le comprendre (un livre chez elle). – Une vilaine écriture, elle met ses fautes de français sur le compte de sa nationalité. […] Dévote. Elle est amie du pape « ma petite amie ». Elle brûle des cierges pour les entreprises délicates. Elle devient stupide quand on touche au pape, et compromet même ses intérêts. »
Documents préparatoires de Son Excellence Eugène Rougon, NAF 10292, f° 143-144.
BIOGRAPHIE
Fille de la comtesse Balbi. Née en 1835 à Florence. Elle habite avec sa mère un petit hôtel de l’avenue des Champs-Élysées, à deux pas de la rue Marbeuf. C’est une grande fille d’une admirable beauté, s’habillant étrangement de robes mal faites. Elle a un mélange de mœurs libres et de dévotion outrée, et vit dans un incroyable gâchis d’argent, avec des accès brusques d’avarice honteuse. Très intelligente, très séduisante, très ambitieuse, elle aide aux intrigues internationales de sa mère, vivant dans le monde politique l’oreille tendue, se montrant très curieuse de la vie des autres, usant de sa beauté pour pénétrer partout, achetant des amitiés par le don de ses faveurs.
Malgré l’étrangeté de sa vie, elle se pousse hardiment vers un grand mariage capable de satisfaire son orgueil ; elle jette son dévolu sur le ministre Rougon. Mais c’est en vain qu’elle l’enveloppe d’une séduction savante et qu’elle l’excite jusqu’au coup de sang. Rougon se dérobe, faisant à cette dangereuse aventurière l’offense de la considérer comme inférieure à lui et de la marier avec son ami Delestang, un imbécile solennel. Clorinde rêvera dès lors une vengeance digne d’elle et ses efforts vont tendre à l’écroulement de Rougon. Comme celui-ci n’est plus aux affaires, elle emploie tout son génie de l’intrigue à lui faire rendre le pouvoir, puis, quand il est à l’apogée de sa puissance, elle travaille à le culbuter, ameutant Paris contre lui, détachant du grand homme les familiers qui le soutiennent, faisant la conquête de l’impératrice, allumant l’empereur dont elle devient la maîtresse, provoquant enfin le brusque renvoi du ministre et raffinant sa vengeance jusqu’à obtenir pour l’incapable Delestang, son mari, le portefeuille enlevé à Rougon.
Elle continue ses hautes intrigues, fait vigoureusement le jeu de Cavour en vue d’une alliance contre l’Autriche et contribue à préparer la guerre d’Italie qui modifiera la politique intérieure de l’Empire et, conséquence imprévue, ramènera triomphalement Rougon au pouvoir, après une éclipse de trois ans. La belle Clorinde s’inclinera alors devant l’incontestable force de ce Rougon qu’elle avait cru abattre.
(Son Excellence Eugène Rougon)
PORTRAIT
Et elle était vraiment superbe, avec son profil pur, son cou délié, qu’une ligne tombante attachait à ses épaules. Elle avait surtout cette beauté royale, la beauté du buste. Ses bras ronds, ses jambes rondes, gardaient un luisant de marbre. Sa hanche gauche, légèrement avancée, la ployait un peu, la main droite en l’air, découvrant de l’aisselle au talon une longue ligne puissante et souple, creusée à la taille, renflée à la cuisse. Elle s’appuyait de l’autre main sur son arc, de l’air tranquillement fort de la chasseresse antique, insoucieuse de sa nudité, dédaigneuse de l’amour des hommes, froide, hautaine, immortelle. […]
Et, brusquement, elle ne fut plus Diane. Elle laissa tomber son arc, elle fut Vénus. Les mains rejetées derrière la tête, nouées dans son chignon, le buste renversé à demi, haussant les pointes des seins, elle souriait, ouvrait à demi les lèvres, égarait son regard, la face comme noyée tout d’un coup dans du soleil. Elle paraissait plus petite, avec des membres plus gras, toute dorée d’un frisson de désir, dont il semblait voir passer les moires chaudes sur sa peau de satin. Elle était pelotonnée, s’offrant, se faisant désirable, d’un air d’amante soumise qui veut être prise entière dans un embrassement.
(Son Excellence Eugène Rougon, chapitre III)