FICHE PERSONNAGE

« Un tempérament de parisienne – Des volontés et des chutes – d’une minute. Allant au plaisir avec ses nerfs – pleine de caprice – baisant aimant avec emportement, et pleurant après. Une fille née pour le plaisir, que le plaisir consume, et qui au dernier moment se révolte. Toute en curiosités sensuelles. »

Documents préparatoires de La Curée, NAF 10282, f°322

BIOGRAPHIE

Fille aînée du président Béraud Du Châtel. Femme d’Aristide Rougon, dit Saccard. Née à Paris en 1836, elle avait huit ans lorsque sa mère est morte. Elle reste pendant onze ans pensionnaire chez les Dames de la Visitation, grandissant loin du foyer paternel, se faisant une éducation fantasque, perdant peu à peu les vertus de sa race et glissant à des désirs inavouables, à des curiosités vicieuses qui, vers l’âge de dix-neuf ans, pendant des vacances, chez sa bonne amie Adeline, la livreront sans défense à un viol brutal. Elle s’éveillera pleine de mépris pour elle-même, perdue au bien et disposée, dans un amour des choses logiques hérité de son père, à aller jusqu’au bout d’une dépravation beaucoup plus cérébrale que charnelle, à satisfaire toujours un insatiable besoin de savoir et de sentir. Pour dissimuler sa faute, on l’a mariée avec Aristide Saccard et elle se trouve bientôt lancée dans le monde interlope du second Empire. Une fausse couche heureuse a supprimé l’enfant qu’on redoutait.

C’est alors une existence folle. Renée, avec ses étranges cheveux fauve pâle, sa mine de garçon impertinent, s’étourdit en des excentricités tapageuses ; elle mange vite sa fortune personnelle, est entretenue d’argent par son mari, qui la jette systématiquement aux dissipations éclatantes ; elle a des amants successifs, Rozan, Simpson, Chibray, Mussy, pousse même la curiosité jusqu’aux passades d’un jour, devient l’une des beautés les plus en vue du règne et rencontre sa sensation la plus aiguë un soir de bal aux Tuileries, lorsque l’empereur, déjà lourd, la face dissoute, les reins flottants, s’arrête quelques secondes devant elle et, en présence de toute la cour, l’admire de son œil plombé.

À vingt-huit ans, ayant assouvi tous ses désirs, possédant tout et voulant autre chose, horriblement lasse, elle est en quête d’une jouissance rare, inconnue, et, par un entraînement où tout l’a poussée, elle glisse bientôt à un inceste avec le fils de son mari, le joli et frêle Maxime, pimentant cet amour criminel d’un mélange de remords bourgeois et d’extrême volupté, trouvant enfin le frisson nouveau qu’elle cherchait. Mais, entre la passivité du fils et la terrible coquinerie du père, entre Maxime qui la délaisse comme une loque et Aristide qui profite cyniquement du suprême déshonneur pour édifier une fortune nouvelle, la jeune femme qui s’était crue Phèdre, sent brusquement qu’elle n’a été dans la vie des Saccard qu’un jouet misérable. La folie monte rapidement en son cerveau détraqué. Dans l’éclat flamboyant de Paris en fête, elle achève de goûter à tout, joue, essaye de boire ; c’est la fin irrémédiable d’une femme et, quelques mois après, vieillie, usée, sanglotante devant ses souvenirs d’enfance, elle est emportée par une méningite aiguë.

(La Curée)

PORTRAIT

Elle portait, sur une robe de soie mauve, à tablier et à tunique, garnie de larges volants plissés, un petit paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve, qui lui donnait un grand air de crânerie. Ses étranges cheveux fauve pâle, dont la couleur rappelait celle du beurre fin, étaient à peine cachés par un mince chapeau orné d’une touffe de roses du Bengale. Elle continuait à cligner les yeux, avec sa mine de garçon impertinent, son front pur traversé d’une grande ride, sa bouche, dont la lèvre supérieure avançait, ainsi que celle des enfants boudeurs.
[…]
Quand Renée entra, il y eut un murmure d’admiration. Elle était vraiment divine. Sur une première jupe de tulle, garnie, derrière, d’un flot de volants, elle portait une tunique de satin vert tendre, bordée d’une haute dentelle d’Angleterre, relevée et attachée par de grosses touffes de violettes ; un seul volant garnissait le devant de la jupe, où des bouquets de violettes, reliés par des guirlandes de lierre, fixaient une légère draperie de mousseline. Les grâces de la tête et du corsage étaient adorables, au-dessus de ces jupes d’une ampleur royale et d’une richesse un peu chargée. Décolletée jusqu’à la pointe des seins, les bras découverts avec des touffes de violettes sur les épaules, la jeune femme semblait sortir toute nue de sa gaîne de tulle et de satin, pareille à une de ces nymphes dont le buste se dégage des chênes sacrés ; et sa gorge blanche, son corps souple, était déjà si heureux de sa demi-liberté, que le regard s’attendait toujours à voir peu à peu le corsage et les jupes glisser, comme le vêtement d’une baigneuse, folle de sa chair. Sa coiffure haute, ses fins cheveux jaunes retroussés en forme de casque, et dans lesquels courait une branche de lierre, retenue par un nœud de violettes, augmentaient encore sa nudité, en découvrant sa nuque que des poils follets, semblables à des fils d’or, ombraient légèrement. Elle avait, au cou, une rivière à pendeloques, d’une eau admirable, et, sur le front, une aigrette faite de brins d’argent, constellés de diamants. Et elle resta ainsi quelques secondes sur le seuil, debout dans sa toilette magnifique, les épaules moirées par les clartés chaudes.

(La Curée, chapitre I)

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