FICHE PERSONNAGE
« Un vieux cheval blanc de douze ans. Est descendu dans la mine à deux ans, y est donc depuis dix ans. Pendant ces deux ans, était né dans un moulin à eau, près d’une rivière, au milieu d’une large plaine. S’il pense à ces deux années-là. Quand il lève les naseaux, au pied du puits pour respirer.
Gros cheval intelligent et malin. Compte ses tours, pousse de la tête les portes d’aérage, baisse la tête pour ne pas se cogner. Est gâté par les ouvriers et le palefrenier car il est le plus ancien dans la mine. Il couche au fond de l’écurie contre le mur.
Je ferai qu’on descende un cheval de trois ans, Trompette, un cheval bai, qui deviendra le voisin de Bataille. Celui-ci se prend d’amitié pour le nouveau venu. Il le sent, le jour où il arrive, le rassure, le regarde, lui parle. Puis toute l’amitié. Mais Trompette meurt et le désespoir de Bataille qui le regarde partir et monter. Il peut être employé peut-être à le trainer au pied du puits. Et il le regarde enlever. Où va-t-il ?
Enfin Bataille, que j’ai eu dans la première partie et dans la seconde, puis que j’ai au milieu, grâce au palefrenier, mourra à la fin dans l’accident. L’écurie envahie, Catherine voyant cela, perdant la tête, courant vers Étienne. Et les chevaux lâchés. Bataille galopant, puis mourant avec des hennissements terribles. »
Documents préparatoires de Germinal, NAF 10308, f° 93-94
BIOGRAPHIE
Un cheval blanc qui a dix ans de fond, dans les galeries du Voreux. Le doyen de la mine. Depuis dix ans, il vit là, occupant un même coin d’écurie, faisant la même tâche le long des parois, sans avoir jamais revu le jour. Très gai, le poil luisant, l’air bonhomme, il semble couler une existence de sage, à l’abri des malheurs de là-haut. D’ailleurs, dans les ténèbres, il est devenu d’une grande malignité. La voie où il travaille a fini par lui être si familière, qu’il pousse de la tête les portes d’aérage, et se baisse, afin de ne pas se cogner, aux endroits trop bas. Sans doute aussi, il compte ses tours, car lorsqu’il a fait le nombre réglementaire de voyages, il refuse d’en recommencer un autre, on doit le reconduire à sa mangeoire.
Maintenant, l’âge vient, ses yeux de chat se voilent parfois d’une mélancolie. Peut-être Bataille revoit-il vaguement, au fond de ses rêvasseries obscures, le moulin où il est né, près de Marchiennes, un moulin planté sur le bord de la Scarpe, entouré de larges verdures, toujours éventé par le vent. Quelque chose brûle en l’air, une lampe énorme, dont le souvenir exact échappe à sa mémoire de bête. Et il reste la tête basse, tremblant sur ses vieux pieds, faisant d’inutiles efforts pour se rappeler le soleil. Quand un compagnon lui tombe de la terre, il le flaire, connue s’il trouvait en lui la bonne odeur du grand air, l’odeur oubliée du soleil dans les herbes, et il éclate tout à coup d’un hennissement sonore, d’une musique d’allégresse, où semble se révéler l’attendrissement d’un sanglot. Il s’est pris d’une grande tendresse pour son camarade Trompette ; on dirait la pitié affectueuse d’un vieux philosophe, désireux de soulager un jeune ami, en lui donnant sa résignation et sa patience. Mais c’est en vain qu’il le frotte amicalement de ses côtes. qu’il lui mordille le cou, l’autre reste morne, sans goût à la besogne, comme torturé du regret de la lumière. Trompette meurt, et le tour de Bataille vient un peu plus tard : il est assassiné par l’inondation de la mine.
(Germinal)