Ce qui avait amené le docteur Pascal à s’occuper spécialement des lois de l’hérédité, c’était, au début, des travaux sur la gestation. […] à mesure que les faits s’accumulaient et se classaient dans ses notes, il avait tenté une théorie générale de l’hérédité, qui pût suffire à les expliquer tous.
Problème ardu, et dont il remaniait la solution depuis des années. Il était parti du principe d’invention et du principe d’imitation, l’hérédité ou reproduction des êtres sous l’empire du semblable, l’innéité ou reproduction des êtres sous l’empire du divers. Pour l’hérédité, il n’avait admis que quatre cas : l’hérédité directe, représentation du père et de la mère dans la nature physique et morale de l’enfant ; l’hérédité indirecte, représentation des collatéraux, oncles et tantes, cousins et cousines ; l’hérédité en retour, représentation des ascendants, à une ou plusieurs générations de distance ; enfin, l’hérédité d’influence, représentation des conjoints antérieurs, par exemple du premier mâle qui a comme imprégné la femelle pour sa conception future, même lorsqu’il n’en est plus l’auteur. Quant à l’innéité, elle était l’être nouveau, ou qui paraît tel, et chez qui se confondent les caractères physiques et moraux des parents, sans que rien d’eux semble s’y retrouver.
Et, dès lors, reprenant les deux termes, l’hérédité, l’innéité, il les avait subdivisés à leur tour, partageant l’hérédité en deux cas, l’élection du père ou de la mère chez l’enfant, le choix, la prédominance individuelle, ou bien le mélange de l’un et de l’autre, et un mélange qui pouvait affecter trois formes, soit par soudure, soit par dissémination, soit par fusion, en allant de l’état le moins bon au plus parfait ; tandis que, pour l’innéité, il n’y avait qu’un cas possible, la combinaison, cette combinaison chimique qui fait que deux corps mis en présence peuvent constituer un nouveau corps, totalement différent de ceux dont il est le produit.
C’était là le résumé d’un amas considérable d’observations, non seulement en anthropologie, mais encore en zoologie, en pomologie et en horticulture. Puis, la difficulté commençait, lorsqu’il s’agissait, en présence de ces faits multiples, apportés par l’analyse, d’en faire la synthèse, de formuler la théorie qui les expliquât tous. Là, il se sentait sur ce terrain mouvant de l’hypothèse, que chaque nouvelle découverte transforme ; et, s’il ne pouvait s’empêcher de donner une solution, par le besoin que l’esprit humain a de conclure, il avait cependant l’esprit assez large pour laisser le problème ouvert. […]
Ah ! cette hérédité, quel sujet pour lui de méditations sans fin ! L’inattendu, le prodigieux n’était-ce point que la ressemblance ne fût pas complète, mathématique, des parents aux enfants ? Il avait, pour sa famille, d’abord dressé un arbre logiquement déduit, où les parts d’influence, de génération en génération, se distribuaient moitié par moitié, la part du père et la part de la mère. Mais la réalité vivante, presque à chaque coup, démentait la théorie. L’hérédité, au lieu d’être la ressemblance, n’était que l’effort vers la ressemblance, contrarié par les circonstances et le milieu. Et il avait abouti à ce qu’il nommait l’hypothèse de l’avortement des cellules. La vie n’est qu’un mouvement, et l’hérédité étant le mouvement communiqué, les cellules, dans leur multiplication les unes des autres, se poussaient, se foulaient, se casaient, en déployant chacune l’effort héréditaire ; de sorte que si, pendant cette lutte, des cellules plus faibles succombaient, on voyait se produire, au résultat final, des troubles considérables, des organes totalement différents.
L’innéité, l’invention constante de la nature à laquelle il répugnait, ne venait-elle pas de là ? n’était-il pas, lui, si différent de ses parents, que par suite d’accidents pareils, ou encore par l’effet de l’hérédité larvée, à laquelle il avait cru un moment ? car tout arbre généalogique a des racines qui plongent dans l’humanité jusqu’au premier homme, on ne saurait partir d’un ancêtre unique, on peut toujours ressembler à un ancêtre plus ancien, inconnu. Pourtant, il doutait de l’atavisme, son opinion était, malgré un exemple singulier pris dans sa propre famille, que la ressemblance, au bout de deux ou trois générations, doit sombrer, en raison des accidents, des interventions, des mille combinaisons possibles. Il y avait donc là un perpétuel devenir, une transformation constante dans cet effort communiqué, cette puissance transmise, cet ébranlement qui souffle la vie à la matière et qui est toute la vie […]
Sans doute, l’hérédité ne le passionnait-elle ainsi que parce qu’elle restait obscure, vaste et insondable, comme toutes les sciences balbutiantes encore, où l’imagination est maîtresse.
Le Docteur Pascal, chapitre II.
Contrepoint
Émile Zola a de l’orgueil, et, quoique l’orgueil soit le plus diabolique des sept péchés capitaux, il ne messied pas à ceux qui travaillent, qui osent, qui réussissent, qui cherchent et qui trouvent.
Eh bien, dans l’intérêt de son orgueil de son talent, de sa célébrité grandissante, je crois qu’il ferait bien de renoncer à cet arbre généalogique qui ne signifie absolument rien, qui n’ajoute ni à la clarté de ses récits ni à la valeur de ses personnages, qui fait de lui le médiocre tributaire du docteur Gall ou de tout autre phrénologue, et qui finirait par mêler à ses succès une légère teinte de ridicule.
J’ai lu avec une profonde attention L’Assommoir et Une page d’Amour ; puis j’ai consulté cette espèce de carte routière qu’il a placée en tête de son dernier volume, et où chacun de ses héros figure comme un chef-lieu dans son département ; je n’ai pas découvert un seul fil qui pût se rattacher à autre chose qu’à une immense prétention. […] Franchement, quand je lis dans un des casiers, sur une écorce de cet arbre : « Clotilde Rougon, née en 1847. Élection (?) de la mère ; ressemblance physique de la mère, etc., » – j’ai envie de répondre : « Quèqueça me fait ? votre roman en sera-t-il meilleur ou pire ? Et croyez-vous que ce mot élection nous soit bien agréable ? »
Il est sans doute d’avis, le démocrate Émile Zola, qu’une vertu, une bonne action, une pensée généreuse, un trait de courage, une parole éloquente, un beau cri de Vive la République ! valent mieux, en ce monde, que les généalogies les plus superbes. Soit ! mais alors il me permettra de lui répondre qu’une jolie page, un mot spirituel, une scène émouvante, une larme ou un sourire, sont préférables, en littérature, à tous les arbres généalogiques.
Armand de Pontmartin, Nouveaux samedis, 17e série, 1879.